L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord souligner que je prends la parole sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Ce faisant, je veux reconnaître notre responsabilité collective non seulement d’honorer les contributions passées et présentes des premiers habitants de cette région, mais aussi de protéger et de faire respecter leurs droits. Ces résultats ne peuvent être atteints que par un engagement sincère et des actions significatives, et c’est quelque chose dont nous devrions nous souvenir lors de nos délibérations.
Aujourd’hui, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, officiellement intitulé Loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui combine deux mesures différentes.
La partie 1 est la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada. Elle vise à éliminer les obstacles fédéraux à la circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre.
La partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, a pour but de rationaliser l’approbation et la construction de grands projets que le Cabinet fédéral juge être dans l’intérêt national.
Avant d’aborder le contenu et les incidences des parties 1 et 2, je souhaite commenter le processus utilisé pour élaborer et, bientôt, mettre en œuvre ce projet de loi.
Déposé le 6 juin par l’honorable Dominic LeBlanc, ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne, le projet de loi a été examiné et modifié par le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes pendant deux jours, soit environ 12 heures au total, avant d’être à nouveau amendé, débattu et finalement adopté à la Chambre des communes le lendemain, le 20 juin.
Alors que le projet de loi était encore à l’étude à l’autre endroit, le Sénat a autorisé un comité plénier à étudier la teneur du projet de loi C-5 pendant trois jours consécutifs, pour un total d’environ huit heures. Le Sénat a également convenu de tenir un vote final au plus tard le vendredi 27 juin.
Étant donné que la Chambre des communes a ajourné jusqu’au 15 septembre et que la convention veut que l’on se conforme à sa volonté, il semble presque inéluctable que le Sénat s’empresse lui aussi à adopter le projet de loi. Nous fonçons à toute allure, sans frein apparemment, vers la date butoir arbitraire du 1er juillet qui a été fixée par le premier ministre.
Pourquoi nous précipitons-nous à adopter un projet de loi aussi important qui mérite d’être examiné attentivement? Nous avions l’option de ralentir le processus. C’est le message que la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a clairement envoyé la semaine dernière. Elle nous a demandé de prendre le temps de faire les choses correctement et nous a rappelé que c’est ainsi que nous construirons un pays meilleur, soit en écoutant, en travaillant ensemble et en ne précipitant pas la réconciliation.
Chers collègues, le recours à une procédure aussi précipitée pour un projet de loi aussi radical et potentiellement dangereux est préoccupant. Je n’ai certainement jamais rien vu de tel depuis ma nomination. À tout le moins, nous devrions être très préoccupés par le fait que notre accord collectif, même s’il est seulement tacite, de procéder de cette manière risque de miner la confiance du public dans notre institution.
Nous avons tous été nommés au Sénat pour examiner soigneusement et minutieusement les projets de loi adoptés à l’autre endroit. Notre rôle est de nous concentrer sur les intérêts à long terme de nos régions et du Canada, ainsi que de donner une voix aux groupes sous-représentés comme les peuples autochtones.
En ce moment, je ne peux m’empêcher de me demander si nous avons vraiment assumé ces responsabilités, non seulement en principe, mais aussi en pratique. La vitesse à laquelle nous faisons progresser le projet de loi C-5 donne l’impression que nous sommes ici uniquement pour approuver aveuglément les projets de loi du gouvernement fédéral plutôt que pour les examiner attentivement et, si nécessaire, les amender. Quand nous n’accomplissons pas correctement notre devoir d’assurer un second examen objectif, nous devenons responsables des conséquences imprévues mais prévisibles qui peuvent s’ensuivre.
Aucun d’entre nous ne veut entendre de telles choses, et j’aimerais ne pas avoir à les dire. Cependant, ce serait une erreur de ne pas tenir compte des critiques qui nous sont adressées pour nos actions — ou plutôt notre inaction — en lien avec le projet de loi. Nous tous ici présents, ainsi que le grand public, n’avons pas eu le temps d’examiner attentivement et minutieusement le fond et l’incidence du projet de loi.
La semaine dernière, la cheffe nationale Woodhouse Nepinak a dit au Sénat que l’Assemblée des Premières Nations avait eu sept jours pour fournir des commentaires sur un aperçu du projet de loi qui ne comprenait pas les dispositions finales. Pendant ce temps, de nombreuses collectivités étaient aux prises avec les répercussions des incendies de forêt et d’autres crises, aggravées par l’indifférence et la négligence constantes du gouvernement fédéral. De même, Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous a dit que son organisation s’était vu accorder un court délai.
Il est tout à fait inacceptable que le Canada s’attende à ce que les peuples autochtones, qui sont souvent confrontés à des défis en matière de capacité et de ressources, examinent et évaluent correctement les répercussions de mesures législatives sans avoir eu suffisamment de temps pour les comprendre au préalable.
Les peuples autochtones, qui sont censés être respectés en tant que partenaires égaux dans le cadre de relations de nation à nation, ont été complètement mis de côté sur une question qui pourrait profondément affecter leurs droits collectifs. En revanche, le premier ministre Mark Carney et le Cabinet fédéral ont rencontré les premiers ministres des provinces et des territoires dès le mois de mai afin de discuter de la proposition visant à accélérer les projets d’intérêt national au Canada.
Nous n’en serions pas là aujourd’hui si les peuples autochtones avaient eu une chance égale de participer à l’élaboration et à la rédaction du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne.
Chers collègues, le premier ministre et son gouvernement ont soutenu à maintes reprises que les électeurs, y compris les peuples autochtones, leur avaient donné le mandat démocratique d’agir et de réagir de toute urgence à une crise provoquée par les États-Unis, y compris le pouvoir de se donner à toute vitesse des pouvoirs considérables et sans précédent.
Même si nous acceptions l’hypothèse discutable selon laquelle un tel mandat démocratique existe, n’est-il pas risqué et imprudent de donner un pouvoir discrétionnaire aussi vaste à l’exécutif sans prendre le temps d’en comprendre pleinement les conséquences?
Jocelyn Stacey, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a déclaré dans un récent article d’opinion :
Nous vivons peut-être une période de crise mondiale, mais nous ne devons pas laisser les législateurs renoncer aux procédures et garanties juridiques.
Je suis tout à fait d’accord.
Les pressions économiques exercées par les États-Unis ne justifient pas une prise de pouvoir urgente qui érode les garanties juridiques dont bénéficient les communautés et l’environnement sous prétexte de rapidité et de nécessité. Cela ne veut pas dire que de nombreux travailleurs et entreprises ne sont pas durement touchés. Ils ont besoin de notre soutien. Cependant, il est trompeur de présenter l’adoption du projet de loi à l’étude comme une réponse nécessaire à une crise urgente.
Nous ne pouvons pas sacrifier des garanties essentielles et des partenariats authentiques au profit d’intérêts politiques et commerciaux. Nous risquons de créer un dangereux précédent en permettant au gouvernement de se soustraire aussi facilement au contrôle parlementaire et public.
Au-delà des problèmes causés par la précipitation du processus parlementaire, j’aimerais maintenant me pencher sur le contenu et les répercussions réelles du projet de loi C-5.
Tout d’abord, je vais expliquer pourquoi j’appuie la partie 1, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, malgré quelques réserves. En dernier lieu, et c’est peut-être le point le plus important, je vais expliquer pourquoi je ne peux pas, en toute conscience, appuyer la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada.
Chers collègues, la partie 1 du projet de loi C-5, également connu sous le nom de Loi sur l’unité de l’économie canadienne, vise à édicter la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.
Afin de réduire les obstacles de longue date au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, le projet de loi propose de créer un cadre de reconnaissance mutuelle pour qu’un bien, un service ou un travailleur qui répond aux exigences d’une province ou d’un territoire soit considéré comme répondant aux normes fédérales, à condition de répondre à certains critères pour être considéré comme comparable. Plus précisément, l’exigence provinciale ou territoriale doit porter sur le même élément ou aspect, ou viser à atteindre un objectif semblable par rapport à l’exigence fédérale correspondante.
À l’heure actuelle, les exigences incohérentes des provinces et des territoires créent des obstacles qui empêchent les travailleurs d’exercer leur métier ou leur profession, les entreprises de transporter et de vendre des biens et des services, et les clients d’acheter librement partout au Canada. La Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait, entre autres, aider à simplifier les exigences concernant la délivrance de permis et la conformité en matière de sécurité pour les camionneurs, ce qui contribuerait à atténuer les pénuries de main-d’œuvre, à réduire les coûts et à améliorer les livraisons partout au Canada. Par ailleurs, il pourrait éliminer les exigences réglementaires redondantes, notamment en ce qui concerne les vérifications de sécurité, afin de réduire les coûts et d’accroître la compétitivité des entreprises de camionnage.
En raison des conséquences durables des droits de douane injustifiés imposés par les États-Unis sur certains produits importés du Canada, en particulier dans les secteurs de l’automobile, de l’aluminium et de l’acier, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander à tous les pouvoirs publics de soutenir les travailleurs et les industries qui sont touchés.
Le cadre de reconnaissance mutuelle a été présenté comme une solution potentielle. En fait, la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada s’appuie sur des lois provinciales semblables.
Par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard a adopté le 16 mai le projet de loi no 15, intitulé Interprovincial Trade and Mobility Act, afin de supprimer les restrictions liées au commerce et à la main-d’œuvre en partenariat avec les autorités s’accordant la réciprocité.
Selon le premier ministre Rob Lantz, cette mesure législative reflète l’engagement global de la province à adopter une approche du type « Équipe Canada », en plus d’ouvrir la voie à une collaboration étroite avec d’autres administrations afin de créer une économie nationale unifiée plutôt que 13 économies distinctes.
À ma connaissance, l’Île-du-Prince-Édouard a déjà conclu des accords avec la Nouvelle-Écosse et l’Ontario, et d’autres suivront assurément.
L’incidence de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait être considérable.
L’année dernière, le Forum des politiques publiques a publié un document dans lequel il affirmait que, du fait de sa taille plus petite et de sa plus grande dépendance à l’égard du commerce intérieur que d’autres régions du pays, le Canada atlantique tirerait des avantages considérables de l’élimination des obstacles au commerce intérieur.
L’Île-du-Prince-Édouard, en particulier, pourrait voir son PIB augmenter de 16,2 %. Le Forum des politiques publiques a également cité les conclusions tirées par les professeurs Trevor Tombe et Jennifer Winter de l’Université de Calgary en 2021. Selon eux, une modeste réduction de 10 % des obstacles au commerce interprovincial dans les Maritimes pourrait augmenter les revenus de l’Île-du-Prince-Édouard de 1,8 % et faire bondir l’emploi de 2,6 %.
Nous ne savons pas encore si cette croissance se concrétisera, mais si c’est le cas, elle pourrait transformer cette petite province. C’est en raison de ces avantages économiques potentiels que j’appuie les objectifs du projet de loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.
Cela dit, je pense que nous devons rester prudents. Nous avons entendu à maintes reprises que la suppression des obstacles internes au commerce pourrait faire grimper le PIB du Canada de 200 milliards de dollars par an. Cependant, ces chiffres, comme d’autres, sont peut-être trop beaux pour être vrais.
C’est certainement l’argument avancé par le Centre canadien de politiques alternatives, qui soutient qu’en raison de l’utilisation d’hypothèses problématiques :
[…] les affirmations concernant les obstacles internes au commerce sont largement exagérées et souvent formulées de manière très générale, sans exemples concrets ni intuition quant à la manière dont les changements politiques pourraient favoriser la croissance.
S’il est compréhensible de garder espoir ou d’être optimiste quant au potentiel inexploité qui pourrait être libéré par la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et par des lois provinciales similaires, je pense que nous devons être honnêtes avec nous-mêmes et avec la population en général.
Nous ne pouvons pas non plus faire fi des inquiétudes suscitées par la partie 1 du projet de loi C-5, laquelle pourrait être utilisée pour diluer les exigences fédérales plus strictes dans des domaines tels que la protection de l’environnement et la sécurité des consommateurs, ou encore créer une mosaïque de normes dans des domaines essentiels tels que la construction et les transports.
Par conséquent, il est extrêmement important que les parlementaires suivent de près la mise en œuvre de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada dès son entrée en vigueur. Nous devrons surveiller de près la manière dont le gouvernement exerce son vaste pouvoir réglementaire afin d’éviter un éventuel nivellement par le bas si les normes destinées à protéger les personnes et l’environnement ne sont pas progressivement abaissées.
Récemment, le Conseil des viandes du Canada a mis en garde que le projet de loi C-5 pourrait saper les normes fédérales en matière de santé et de sécurité en permettant aux règlements provinciaux de se substituer à la réglementation fédérale. Par exemple, le remplacement des règles fédérales d’inspection des viandes pourrait menacer les exportations de viande rouge, car les partenaires commerciaux pourraient perdre confiance dans notre système national d’assurance de la salubrité des aliments. L’importance de préserver la réglementation fédérale dans les domaines où la santé et la sécurité constituent une grave préoccupation ne peut être sous-estimée.
La transition vers un cadre de reconnaissance mutuelle en vertu de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada exigera beaucoup de travail. Il est essentiel que le gouvernement fédéral agisse de manière responsable et équitable afin d’éviter toute confusion ou tout retard dans la réglementation et de ne pas compromettre la santé et le bien-être des Canadiens.
Chers collègues, j’aimerais maintenant parler de la partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, qui a pour objectif de promouvoir la croissance économique en simplifiant le processus d’approbation afin d’accélérer la réalisation d’un petit nombre de grands projets choisis pour faire progresser les intérêts nationaux du Canada. Ces projets pourraient aller des pipelines et des mines aux chemins de fer et à d’autres projets industriels et infrastructurels à grande échelle.
Pour répondre aux pressions économiques exercées par les États-Unis et d’autres facteurs, le gouvernement fédéral cherche à réorienter les examens fédéraux afin qu’ils ne déterminent plus « si » ces projets doivent être réalisés, mais plutôt « comment » les faire avancer le plus rapidement possible. Il veut fournir des délais et des résultats plus clairs et plus prévisibles pour les investisseurs.
Dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada, des pouvoirs étendus et sans précédent sont accordés au Cabinet fédéral et, plus précisément, à un seul ministre. Les projets jugés d’intérêt national seront approuvés en principe avant que les évaluations d’impact soient terminées ou que les consultations commencent.
Cette approche rationalisée réduirait le processus décisionnel fédéral de cinq à deux ans — un délai qui n’est rien d’autre qu’une promesse politique, puisqu’il n’est pas inclus dans le texte du projet de loi. Rien ne garantit que ce processus sera plus court ou plus long que ce qui a été suggéré.
La semaine dernière, la Chambre des communes a apporté plusieurs amendements visant à améliorer la Loi visant à bâtir le Canada, dont un grand nombre émanaient du Parti conservateur. Je voudrais en souligner quelques-uns qui, à mon avis, ont considérablement renforcé le projet de loi en y apportant non seulement de la clarté, mais aussi une surveillance parlementaire et publique qui faisait défaut auparavant.
Le projet de loi a été amendé pour inclure une nouvelle obligation de créer un registre public centralisé et accessible pour les projets d’intérêt national qui doivent inclure une description détaillée et une justification, ainsi que les coûts prévus, les délais d’achèvement et les résultats escomptés.
En outre, le ministre est désormais tenu de rendre publiques — dans les 30 jours suivant la délivrance d’un document d’autorisation pour un projet — des informations détaillées sur les conditions, les motifs, le processus et les recommandations qui ont servi de base à la décision. En cas de rejet d’une recommandation, le ministre doit fournir une justification accompagnée d’une analyse comparative, d’une évaluation des risques liés à l’avis rejeté et des mesures d’atténuation proposées.
Ces mesures sont en outre renforcées par des amendements qui ont élargi le mandat du comité d’examen parlementaire prévu par la Loi sur les mesures d’urgence pour lui permettre d’examiner l’exercice de toutes les attributions aux termes de la Loi visant à bâtir le Canada et d’en faire rapport au moins tous les six mois. De plus, un rapport annuel sur tous les projets d’intérêt national, comprenant une évaluation des progrès, des budgets et des échéanciers, doit être déposé dans les deux Chambres et publié en ligne.
Enfin, il y a maintenant des limites au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Par exemple, il est désormais interdit au gouvernement fédéral d’autoriser des projets ou d’en modifier les conditions lorsque le Parlement est prorogé ou dissous, ou après le cinquième anniversaire de l’adoption du projet de loi.
Des limites ont également été imposées au pouvoir exécutif pour l’empêcher d’outrepasser certaines lois fédérales, dont la Loi sur les Indiens, ou d’en exempter des projets, ce qui répond aux graves préoccupations soulevées par l’Assemblée des Premières Nations, entre autres.
Ces amendements et d’autres que la Chambre des communes a apportés à la Loi visant à bâtir le Canada constituent un point de départ important. Toutefois, des préoccupations de fond demeurent, la principale étant que le projet de loi confère des pouvoirs exécutifs vastes et sans précédent, ce qui crée un risque important d’abus.
Je vais maintenant donner quelques exemples précis. La première question est de savoir comment l’expression « intérêt national » sera définie. À l’origine, le projet de loi énonçait une liste de facteurs discrétionnaires pouvant être pris en compte au moment d’établir si un projet doit être désigné d’intérêt national.
Ce langage vague signifiait que les décisions pourraient être soumises aux caprices des gouvernements actuels ou futurs. La Chambre des communes a adopté un amendement exigeant que le gouvernement fédéral définisse et publie les critères précis auxquels un « projet d’intérêt national » doit satisfaire dans les 15 jours suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Si ce délai n’est pas respecté, le ministre responsable doit expliquer pourquoi et fournir l’échéancier dans lequel ces critères seront satisfaits. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction.
Voici toutefois le hic : c’est toujours le gouvernement fédéral qui définit ce que cela signifie et comment cela sera mesuré. Autrement dit, c’est toujours lui qui décide de ce qui relève ou non de l’intérêt national.
Par conséquent, il est possible que le gouvernement fédéral fasse passer les avantages économiques ou autres avant les intérêts des peuples autochtones, la lutte contre les changements climatiques ou tout autre facteur.
Je suis particulièrement préoccupé par la perspective que le gouvernement fédéral ait le pouvoir final de déterminer quels « projets d’intérêt national » sont dans l’intérêt des peuples autochtones. L’obligation de définir publiquement des critères contraignants apportera une certaine prévisibilité, mais cela pourrait ne pas être suffisant pour prévenir les abus potentiels du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.
Oui, le gouvernement fédéral devra clarifier ce qu’il entend par les intérêts des peuples autochtones. Cependant, comme nous ne sommes pas une société monolithique, les peuples autochtones ont des intérêts différents, voire contradictoires, notamment en matière de développement.
Je suis également très conscient du fait que le gouvernement fédéral a déjà fait valoir qu’il était dans « l’intérêt » des enfants et des familles autochtones d’établir et de gérer des pensionnats indiens et des écoles de jour indiennes, des établissements qui ont causé des préjudices incommensurables et permanents à nos peuples et à nos communautés.
Cela nous rappelle de manière saisissante pourquoi toute mention des intérêts des peuples autochtones dans un projet de loi comme celui-ci doit s’accompagner d’une exigence claire : ce sont les peuples autochtones, et non le gouvernement, qui définissent ces intérêts. Tout manquement à cette exigence risque de porter atteinte à nos voix et à nos droits.
Je voudrais maintenant m’attarder sur la manière dont la Loi visant à bâtir le Canada témoigne de façon générale d’un mépris pour les droits des peuples autochtones. Cette loi instaurera un processus d’approbation accéléré en deux étapes. Premièrement, une fois qu’un projet sera ajouté à l’annexe 1, il obtiendra automatiquement toutes les autorisations fédérales nécessaires, sous réserve des conditions fixées par un ministre désigné. Deuxièmement, les promoteurs d’un projet devront quand même soumettre les renseignements nécessaires aux ministères fédéraux concernés. Il sera également obligatoire de consulter les homologues fédéraux, provinciaux ou territoriaux que le ministre désigné jugera pertinent de consulter, ainsi que les peuples autochtones dont les droits pourraient être touchés par la réalisation d’un projet donné. Ainsi, plutôt que de laisser plusieurs ministres prendre des décisions distinctes sur la base des règlements qui relèvent de leur compétence, la prise de décision sera mise entre les mains d’un seul ministre habilité à publier un document énonçant les conditions particulières dudit projet.
Une fois le document publié, la disposition sur la présomption prévue par la Loi visant à bâtir le Canada habilitera le gouvernement fédéral à présumer que toutes les autorisations nécessaires sont favorables ou qu’elles appuient le projet dès qu’il a été déclaré d’intérêt national, ce qui, en soi, soulève de sérieuses préoccupations.
La partie du projet de loi qui concerne la Loi visant à bâtir le Canada a été amendée par l’autre endroit afin de prévoir l’établissement d’un processus qui permet « la participation active et significative » des peuples autochtones, et l’obligation de publier un rapport dans les 60 jours suivant la date à laquelle un document est délivré. Cette mesure de protection n’existait pas auparavant. Cependant, le projet de loi ne précise pas le seuil ou la norme à respecter pour que cela soit considéré comme une « participation active et significative ».
Cette obligation vague de consultation prévue dans le projet de loi C-5 s’applique précisément aux peuples autochtones dont les droits pourraient être lésés par la réalisation d’un projet. Le mot « pourraient » donne essentiellement au Cabinet fédéral le pouvoir discrétionnaire de décider si nos droits sont bafoués, considérant ainsi la protection des droits comme une possibilité plutôt qu’une obligation. Il en résulte un manque flagrant de clarté quant à la profondeur, à l’échéancier et aux répercussions de la consultation. En outre, rien ne garantit que les critères auxquels les projets doivent satisfaire avant leur mise en œuvre prendront véritablement appui sur la consultation.
Si le Cabinet fédéral est le seul habilité à décider si un projet porte atteinte à des droits, qu’est-ce qui l’empêchera de simplement déclarer que ce n’est pas le cas? Nous n’avons pas la réponse. Par ailleurs, il est impossible d’avoir la garantie qu’un dialogue continu ou de véritables négociations auront lieu pour réellement prendre en considération les préoccupations des titulaires de droits.
Chers collègues, en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada, les peuples autochtones n’ont pas vraiment leur mot à dire sur l’approbation d’un projet, mais peut-être — je dis bien peut être — qu’ils auront leur mot à dire sur la façon dont le projet sera réalisé.
Le projet de loi prévoit la création d’un bureau fédéral des grands projets, qui sera entre autres responsable de consulter les peuples autochtones. Un conseil consultatif autochtone composé de représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ferait partie de ce bureau. Cependant, contrairement au bureau fédéral des grands projets, cette entité n’est pas mentionnée dans le texte du projet de loi. De plus, ni le mandat, ni la structure, ni les pouvoirs du bureau fédéral des grands projets et du conseil consultatif autochtone ne sont clairement définis.
Le conseil consultatif autochtone sera-t-il en mesure de fournir des directives et des conseils indépendants ou se contentera-t-il d’approuver automatiquement les projets? Nous n’avons pas eu de réponse à cette question.
Comment pourra-t-il garantir que le gouvernement fédéral et les autres parties prenantes respecteront les droits des peuples autochtones durant tout le projet? Nous n’en savons tout simplement rien.
Chers collègues, avec l’approche rationalisée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada, les promoteurs pourraient être moins enclins à consulter véritablement les peuples autochtones sur les moyens d’éviter ou d’atténuer les répercussions d’un projet sur leurs terres ou leurs droits, ce qui est assez inquiétant. Pourquoi quelqu’un négocierait-il alors que le résultat est déterminé à l’avance?
Je crains fortement que la Loi visant à bâtir le Canada ait de graves répercussions sur les mesures d’atténuation et d’accommodement, qui ne sont pas facultatives. Il s’agit d’éléments obligatoires du devoir de consultation, comme le confirment l’article 35 de la Constitution et la Cour suprême du Canada. Le devoir de consultation va au-delà d’une simple écoute : il faut aussi répondre convenablement aux préoccupations soulevées par les peuples autochtones, notamment en modifiant ou en rejetant les projets qui auraient des répercussions sur les droits qui ne peuvent pas être justifiées.
Nous devrions tous nous inquiéter du fait que la Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire la consultation à un exercice symbolique parce qu’elle restreint la capacité des peuples autochtones de refuser ou de négocier la réalisation d’un projet.
Le gouvernement affirme qu’une consultation pourra toujours avoir lieu après la désignation d’un projet, mais soyons honnêtes : à ce moment-là, la décision a essentiellement déjà été prise, peu importe ses conséquences immédiates et cumulatives pour les projets situés sur les territoires traditionnels des peuples autochtones ou à proximité de ceux-ci.
En conséquence, la Loi visant à bâtir le Canada donne en fait carte blanche à des projets qui n’ont pas encore fait l’objet des évaluations scientifiques, techniques ou de sécurité qu’exigent d’autres lois fédérales.
Outre les risques graves associés à la disposition de présomption, la Loi visant à bâtir le Canada comprend les pouvoirs conférés par les clauses dites Henri VIII. Plus précisément, les articles 21 à 23 donnent à l’exécutif le pouvoir d’exempter de manière sélective certains projets de l’application des lois et règlements fédéraux pendant le processus simplifié d’approbation des projets. Ces pouvoirs créent un dangereux précédent dont nous devons nous méfier.
Le 18 juin, Anna Johnston, de West Coast Environmental Law, a déclaré devant cette assemblée que, en réalité :
[…] en permettant au Cabinet de prendre des décisions sur les grands projets avant même la tenue d’études environnementales, [ce type d’autorité exécutive] va à l’encontre du principe de la prise de décisions éclairées. Depuis plus d’un demi-siècle, au Canada, lorsqu’il est question de grands projets, nous respectons le principe fondamental selon lequel il faut y regarder à deux fois avant de sauter. Le projet de loi C-5 fait fi de ce principe et laisse le Cabinet prendre d’abord des décisions, puis poser les questions ensuite.
Mme Johnston a ajouté :
Ce modus operandi, qui consiste à agir avant de réfléchir, relègue aux oubliettes des dizaines d’années d’expérience et rejette carrément le principe de la prise de décisions éclairées. C’est comme si on bâtissait d’abord la maison et qu’on demandait après coup à l’ingénieur si elle est sûre.
Les pouvoirs conférés par les clauses Henri VIII inclus dans la Loi visant à bâtir le Canada ouvrent la porte à de possibles abus des pouvoirs discrétionnaires de l’exécutif. La réalité est qu’une fois que des pouvoirs discrétionnaires aussi larges existent, ils seront utilisés. Ces autorités exécutives étendues sont susceptibles d’être exploitées par l’industrie et par d’autres acteurs, même si les ministres affirment qu’ils ne céderont pas à la pression. Les promoteurs demanderont des exemptions, parce que cela permettra de réaliser des projets à moindre coût et plus vite.
La Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire les évaluations environnementales à une simple formalité administrative et la consultation des Autochtones à une réflexion après coup. Cela donne à réfléchir.
Au cours de la séance du comité plénier du 17 juin, le sénateur Klyne a demandé au professeur Martin Olszynski, de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, s’il était préoccupé par le pouvoir que le projet de loi C-5 accorde au gouvernement fédéral d’exempter les projets de l’application de mesures de protection de l’environnement, ce qui pourrait être préjudiciable à la population, à la faune et aux écosystèmes. Sa réponse a été sans équivoque. Il a déclaré : « Si le gouvernement n’a pas l’intention de se servir de ce pouvoir, pourquoi se l’accorde-t-il? »
De plus, le professeur Olszynski a mentionné que le projet de loi 5 de l’Ontario et le projet de loi 15 de la Colombie-Britannique constituaient « […] un précédent clair qui justifie la restriction ».
Dans le même ordre d’idées, le même jour et dans le même groupe d’experts, M. Joshua Ginsberg, le directeur d’Ecojustice, nous a mis en garde :
Il ne s’agit pas de simples lois procédurales ou d’obstacles sur la voie du développement; ces lois contiennent des dispositions importantes visant à prévenir des dommages irréversibles, comme le fait de conduire des espèces à l’extinction ou de polluer l’air et l’eau d’une manière qui menace la santé humaine et la santé de l’écosystème. Elles ne sont pas censées être écartées du revers de la main.
M. Ginsberg a également ajouté que, comme le professeur Olszynski :
[Il] ne prête pas de malice au gouvernement en laissant entendre que dans son empressement à faire en sorte que les projets importants aillent de l’avant rapidement, il en a peut-être un peu trop fait et il propose d’empiéter un peu trop sur les compétences du Parlement. Il conviendrait de réduire la portée des pouvoirs prévus par le projet de loi.
Chers collègues, on nous dit que ces vastes pouvoirs d’intervention potentiellement dangereux sont justifiés, mais le sont-ils vraiment? La semaine dernière, pendant le comité plénier, le sénateur Cardozo a expressément demandé à l’honorable Chrystia Freeland, ministre des Transports et du Commerce intérieur, quelle était la justification du gouvernement fédéral pour s’octroyer des pouvoirs aussi vastes.
Elle a simplement répondu que ces mesures extraordinaires sont nécessaires pour répondre à ce qu’elle a qualifié de véritable crise nationale. Sommes-nous vraiment plongés dans une crise qui justifie de telles mesures exceptionnelles et sans précédent, mises en place à la hâte sous le couvert de l’urgence? Bien franchement, je ne souscris pas à la prémisse de sa réponse.
Le même jour, dans cette enceinte, la ministre Freeland nous a exhortés à saisir la vague de patriotisme qui a déferlé sur notre pays ces derniers mois et à prendre la décision de nous faire mutuellement assez confiance pour créer une seule économie d’un océan à l’autre. Toutefois, compte tenu du long bilan de promesses non tenues et de torts à n’en plus finir, la confiance n’est pas une chose à laquelle le Canada peut s’attendre ou qu’il peut exiger de la part des peuples autochtones. La confiance se mérite. Elle ne s’impose pas. Puisque nos terres et nos ressources — et même nos vies et notre avenir — sont en jeu, il n’y a pas suffisamment de mesures de protection dans ce projet de loi, à mon avis.
Le gouvernement fédéral soutient que les pouvoirs exécutifs accordés en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada seraient toujours limités par les obligations constitutionnelles et légales découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Malheureusement, ces engagements ne sont pas confirmés dans le projet de loi, et les promesses ne valent pas grand-chose quand il faut encore intenter des centaines de poursuites pour faire respecter la tenue de consultations élémentaires.
Comme l’a récemment déclaré l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, les Premières Nations « ne se laissent pas duper par les belles paroles ».
Les peuples autochtones savent d’expérience pourquoi les engagements ne suffisent pas lorsqu’il s’agit du gouvernement fédéral. C’est ce qu’a dit le président Obed lorsqu’il était ici la semaine dernière. Il nous a rappelé ceci :
Le Canada a toujours eu pour faiblesse de se féliciter d’être un grand défenseur des peuples autochtones, de la primauté du droit et du respect des droits des Autochtones, tout en adoptant des lois et des pratiques très différentes à ces égards. Je pense que ce comportement découle non seulement de l’ignorance, mais aussi d’un choix sans équivoque quant aux gens qui méritent de voir leurs droits respectés et à ceux qui ne le méritent pas, et quant à la manière d’atteindre un objectif qui permet au Canada de se donner bonne conscience tout en continuant à bafouer les droits qu’il prétend défendre.
En fin de compte, le respect des droits des peuples autochtones dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada dépendra du sérieux avec lequel le gouvernement fédéral et les promoteurs de projets choisiront de faire respecter les droits des Autochtones dans la pratique. En ce moment, on nous demande simplement de croire qu’ils le feront. Ce n’est pas quelque chose que beaucoup d’entre nous sommes prêts à faire ou en mesure de faire.
À l’heure actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada ne prévoit pas l’obligation explicite d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant qu’un projet soit désigné ou approuvé. Soyons clairs : le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause implique le droit de dire oui ou non. Il ne s’agit pas d’un veto, mais d’un engagement à mener des négociations authentiques et continues avec les peuples autochtones en tant que véritables partenaires.
Le fait de ne pas inclure le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est une omission importante, surtout après que la Chambre des communes a ajouté un amendement pour exiger explicitement que, avant d’ajouter le nom d’un projet à l’annexe 1, le gouvernement fédéral obtienne le consentement écrit d’une province si un projet relève de sa compétence exclusive.
Il s’agit d’un cas troublant de deux poids, deux mesures qui jettent un doute sur la compétence et le consentement dont on tient réellement compte en vertu de ce projet de loi et celles dont on continue de faire fi. Ce projet de loi pourrait donner aux provinces des pouvoirs plus importants que ceux des peuples autochtones pour imposer des conditions ou empêcher la réalisation de projets.
Dans la version actuelle du projet de loi, le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada mentionne l’article 35 de la Loi constitutionnelle et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Toutefois, l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder — ou le principe du consentement libre, préalable et éclairé — n’est pas mise en œuvre dans le projet de loi.
Cela signifie que ces protections ne sont pas appliquées de manière contraignante ou pratique. Elles sont seulement mentionnées dans les dispositions « attendu que », qui ne sont pas exécutoires. Nous aurions pu remédier à cette exclusion si nous avions eu suffisamment de temps pour consulter les détenteurs de droits.
Chers collègues, les enjeux sont importants, non seulement pour le Canada et les Canadiens, mais aussi pour les peuples autochtones et leurs gouvernements. La Loi visant à bâtir le Canada supprime plusieurs garde-fous qui sont en place pour assurer la protection de tous. Nous craignons que les peuples autochtones subissent les conséquences fâcheuses d’approbations de projets précipitées et obscures, sans pleine participation ni consentement. Cela est vraiment inquiétant, car bon nombre de nos communautés sont déjà aux prises avec les répercussions sanitaires, sociales, économiques et culturelles du développement passé, et le projet de loi C-5 pourrait exacerber ces problèmes.
Par ailleurs, rien ne garantit réellement que les avantages économiques potentiels liés à la Loi visant à bâtir le Canada seront équitablement partagés avec les peuples autochtones. Le projet de loi ne contient aucune disposition garantissant le partage des revenus ou la copropriété et la cogouvernance des projets construits sur nos terres et nos eaux ou à proximité de celles-ci.
Le Programme de garantie de prêts pour les Autochtones, dont le budget a récemment été doublé, passant de 5 à 10 milliards de dollars, pourrait aider les communautés autochtones, inuites et métisses à participer à ces projets sur le plan économique. Toutefois, cette possibilité ne remplace pas la nécessité d’un consentement libre, préalable et éclairé pour le projet lui-même, pas plus qu’elle ne garantit un contrôle notable ou un pouvoir de décision une fois que le projet sera lancé. En fin de compte, la procédure simplifiée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada semble plus préoccupée par l’optique politique et les délais pour les investisseurs que par le respect des champs de compétence et du consentement.
Chers collègues, je pourrais vous en dire plus. Cependant, je terminerai par ce qui suit : la prospérité du Canada exige que les peuples autochtones aient de réelles possibilités de participer à l’économie. Cependant, chaque fois que nous affirmons nos droits et nos titres, on nous considère comme des obstacles ou des menaces. Cela ne pourrait être plus loin de la vérité.
Après des générations de marginalisation économique et de dépendance, les peuples autochtones ont plus intérêt que la plupart des autres à créer un pays plus juste et plus prospère. Tout ce que nous demandons, c’est que le Canada nous intègre dès le départ en tant que partenaires égaux et à part entière.
Plus que jamais, le Canada doit être uni, et non divisé. Pourtant, dans sa version actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada contribuerait à diviser le pays. L’approche proposée et les mesures qui seraient prises après l’adoption de ce projet de loi ne respectent pas l’obligation du Canada de consulter les peuples autochtones de manière utile et éclairée. Ce qui est paradoxal, c’est qu’au lieu d’accélérer les projets, la Loi visant à bâtir le Canada risque de les ralentir.
Tout ce que le gouvernement fédéral a réussi à faire jusqu’à présent, c’est accroître le risque d’un conflit juridique et social. Cela va non seulement prolonger les délais, mais en créer de nouveaux.
Chers collègues, dans sa chronique publiée hier dans le Globe and Mail, la journaliste anishinaabe Tanya Talaga demande au Sénat, Chambre de second examen objectif, de suspendre ce projet de loi et de veiller à ce qu’il soit remanié en partenariat avec les nations autochtones. Elle nous prévient, ainsi que le Canada, que si nous ne le faisons pas, cela minera la confiance, violera le principe des relations fondées sur les traités et affaiblira les engagements constitutionnels du Canada envers les peuples autochtones. Nous devons tous tenir compte de son appel à l’action.
En conclusion, chers collègues, bien que la partie 1 du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, représente un virage majeur vers une économie nationale plus intégrée et plus efficace, la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada, trahit l’engagement du gouvernement fédéral et du Canada à renouveler la relation avec les peuples autochtones.
C’est simple : la réconciliation et la prospérité ne sont pas des objectifs contradictoires, mais elles exigent du respect et un partenariat. Je ne peux en toute conscience appuyer un projet de loi qui marque un retour inquiétant à une dynamique paternaliste et coercitive. Voilà pourquoi je ne voterai pas en faveur du projet de loi C-5. Merci. Wela’lin.
Des voix : Bravo!