Le sénateur Francis : Je suis ravi de vous voir tous. Ma question s’adresse à M. Obed. L’une de mes plus grandes préoccupations concernant le projet de loi C-5 est qu’il accorderait au Cabinet, pour une période d’au moins cinq ans, des pouvoirs étendus pour accélérer les projets jugés d’intérêt national sur la base d’une liste de critères généraux et non contraignants. Parmi ces critères figurent les intérêts des peuples autochtones, mais le texte législatif précise clairement qu’il s’agit d’une disposition discrétionnaire et non obligatoire. Cela crée un système dans lequel les droits des Autochtones pourraient être considérés comme facultatifs ou entièrement subordonnés, en particulier si un gouvernement invoque un motif impérieux d’intérêt public, tel que le développement économique, en tant que compétence.
Craignez-vous que le projet de loi risque de donner aux gouvernements actuels et futurs la latitude juridique nécessaire pour approuver des projets d’envergure sans respecter véritablement l’obligation de consulter et d’accommoder les nations autochtones ou d’obtenir leur consentement?
M. Obed : Je peux commencer. Je vous remercie de votre question.
Je suis venu dans cet édifice et dans les salles de comité à plusieurs reprises pour examiner le projet de loi S-13, qui a été adopté par le dernier gouvernement et qui portait sur la Loi d’interprétation. Il s’agissait d’ajouter une disposition de non-dérogation universelle. Le projet de loi à l’étude ne contient pas de disposition de non-dérogation en raison, je crois, du bon travail qui a été accompli. J’espère donc que le gouvernement ne s’imagine pas qu’une mesure législative lui permettra de faire fi de nos droits constitutionnels et de les enfreindre à sa guise. Si telle est son intention, les personnes concernées manifesteront une opposition monstre qui prendra toutes sortes de formes.
Pour les Inuits, le problème avec ce projet de loi, c’est que nous voulons le soutenir. Nous sommes en accord sur les objectifs. Nous voulons être aux côtés de tous les Canadiens pour bâtir notre économie — pour unifier notre économie — et pour réaliser de grands projets d’infrastructure d’intérêt national. Cependant, les termes qui sont censés intégrer les Inuits ou les peuples autochtones, de manière générale, semblent avoir été utilisés à la légère comme s’ils n’avaient pas de signification. Le problème, c’est qu’ils ont une signification extrêmement profonde dans le tissu de la Constitution, à la Cour suprême et du fait de leur statut législatif au Canada.
Je pense que c’est là que nous allons à l’encontre de notre intention commune.
Le sénateur Francis : Merci. Madame la cheffe nationale, souhaitez-vous répondre?
Mme Woodhouse Nepinak : Je vous remercie de votre question.
Les Premières Nations doivent disposer de plus de temps. Nous avons besoin de temps pour nous réunir, pour mener à bien ce processus de manière légale, appropriée et éthique, et pour examiner l’angle politique. Nous avons besoin de temps pour discuter entre nous, mais nous ne l’avons pas encore eu. Nos dirigeants se réuniront les 3, 4 et 5 septembre. Nous devions nous réunir à la mi-juillet mais, en raison des incendies de forêt, nous avons dû éviter de monopoliser des chambres d’hôtel. Nos dirigeants ont pris l’initiative de proposer que la rencontre soit reportée au mois de septembre.
Heureusement, nous pensons les uns aux autres. Je vous invite tous à penser à toutes les personnes qui n’ont pas eu le temps qu’il leur fallait, ce qui a une incidence sur leurs droits. Nous devons leur laisser l’été. Bon nombre de nos chefs luttent actuellement contre des incendies de forêt. Nous demandons un peu de temps.
Nous ne demandons pas grand-chose, je pense. C’est un chemin qui nous est familier. Nous devons nous donner le temps de discuter, de débattre, d’échanger et de parler d’amendements ou de toute autre décision que les gens pourraient prendre — il se peut que certaines personnes n’aiment pas du tout ce projet de loi. Nous n’avons même pas encore eu cette conversation. Respectons-nous les uns les autres. Merci.
M. Chartrand : Je vois les choses différemment. Comme je l’ai dit, mon gouvernement a beaucoup discuté de cette question. Nous parlons de l’avenir. Les gens doivent comprendre que les gouvernements autochtones et métis ne se contentent pas de discuter de leurs problèmes, de leurs besoins ou de ce qui pourrait améliorer leur situation. Nous examinons le pays et la province, et nous nous demandons où en est ce pays. Où en est-il?
En ce moment même, ce pays fait déjà face à plusieurs crises financières, sans que Donald Trump ait besoin d’intervenir. Nous le savons tous. Ce pays est en déficit et tente de s’en sortir, mais, si rien ne change, il risque de connaître des difficultés financières encore plus grandes dans un avenir très proche.
Notre cabinet s’est donc posé la question suivante : comment pouvons-nous faire notre part? Je partage entièrement les préoccupations exprimées par la grande cheffe Woodhouse Nepinak et le président Obed, qui craignent que l’on nous demande de peut-être renoncer à certains aspects de la méthode que nous avons apprise ou qui nous ont permis d’en arriver jusqu’ici en matière de consultations, de partenariats et d’inclusion des peuples autochtones dans ce pays.
Prenons l’exemple de la politique d’approvisionnement, annoncée il y a plus de 20 ans au Canada. L’approvisionnement a enfin fait des progrès au cours des cinq dernières années environ. Cette situation change l’économie à grande échelle pour nos gens; nous avons maintenant l’occasion de postuler à des emplois, de créer des entreprises et de nous frotter à la concurrence. Or, nous nous trouvons maintenant dans une situation où le temps risque de manquer. C’est ce dont parle notre cabinet: le temps est-il une question qui devrait préoccuper tout le monde? Nous sommes d’avis que oui.
La Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale sont arrivées très rapidement. Tout à coup, il a fallu rassembler nos gens. Des représentants du gouvernement sont venus dans nos villages et nos communautés pour nous demander de nous engager en grand nombre, ce que nous avons fait. Nous nous sommes battus pour le pays auquel nous croyions. Aujourd’hui, nous sommes menacés. Nous ne pouvons pas prendre à la légère le discours de ce fou du Sud. Ses actions, on le voit, sont en train de ruiner sa propre économie. La situation va empirer au lieu de s’améliorer. Il va devoir jeter le blâme sur quelqu’un, et il va certainement se tourner vers nous, ses voisins. Il nous a pris à partie pour le fentanyl, alors que la drogue qui passe par le Canada ne représente que 1 % du trafic de fentanyl.
Compte tenu de l’époque dans laquelle on se trouve, il faut rétablir notre lien de confiance. Vous avez entendu la question de la sénatrice du Yukon, qui a déclaré que ce n’était pas sorcier d’élaborer par écrit un processus de consultation en bonne et due forme que le secteur privé, le gouvernement et nous pourraient comprendre. Une telle chose devrait être facile à faire. On pourrait créer le conseil consultatif des Premières Nations, des Métis et des Inuits du jour au lendemain en réunissant les dirigeants et en s’entendant sur son fonctionnement et son mandat : sera-t-il chargé de donner des conseils ou aura-t-il des pouvoirs?
C’est faisable, et il faut certainement en faire davantage dans le contexte où le gouvernement cherche à clarifier les choses. Cela ne fait aucun doute. Pour notre part, nous observons attentivement la situation. La situation économique du Canada m’inquiète parce que, si elle se détériore, je sais très bien que mon peuple en pâtira. Je sais très bien que l’on éliminera des programmes qu’il nous a fallu des décennies à obtenir. Il nous a fallu des décennies pour obtenir des logements. C’est la première fois que nous obtenons des logements depuis probablement 40 ou 50 ans. Nous les avons obtenus il y a environ sept ans. Maintenant, ces programmes disparaîtront.
Nous avons enfin obtenu du financement pour l’éducation de nos jeunes : 5 000 $ pour une bourse universitaire. Est-ce que cela va disparaître maintenant? Nous venons tout juste de commencer à investir dans l’avenir de notre peuple. Tout cela va être remis en question par ce qui se passe en ce moment.
Le temps presse, certes, mais la confiance est primordiale. Si le gouvernement veut notre soutien sur toute la ligne, il doit nous donner quelque chose de plus concret, des mesures qui peuvent être mises en œuvre d’un seul trait de plume du premier ministre. Cela peut se faire assez rapidement. Alors, faisons-le. Cependant, le temps ne joue pas en notre faveur, c’est certain.