L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour participer à l’importante interpellation du sénateur Klyne sur la contribution exceptionnelle des entreprises autochtones à l’économie du Canada.
Le Sénat a déjà eu l’occasion de s’intéresser aux réussites et aux obstacles économiques des peuples et des communautés autochtones de l’île de la Tortue. J’aimerais profiter de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui pour braquer les projecteurs sur quelques entrepreneurs et entreprises mi’kmaqs qui se démarquent d’une manière ou d’une autre sur le territoire mi’kma’ki, c’est-à-dire le territoire ancestral et non cédé des Mi’kmaqs, qui englobe ce qu’on appelle aujourd’hui la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, le Labrador et la région gaspésienne du Québec.
Pour bien comprendre la situation des Mi’kmaqs d’aujourd’hui, nous devons savoir d’où ils viennent.
Pendant des milliers d’années, les Mi’kmaqs ont mené une vie prospère le long de la côte Est de l’île de la Tortue, entretenant un lien profond avec la terre et tout ce qui y a rapport. Les trésors aquatiques, en particulier, ont toujours été au cœur de notre mode de vie.
Grâce aux coutumes et aux traditions que nous nous transmettions de génération en génération, nous avons réussi à gérer ces ressources de manière durable, et ce, depuis des temps immémoriaux. Pourtant, après des siècles de colonisation, de dépossession et de marginalisation, le contrôle que nous avions sur nos ressources et nos territoires traditionnels s’est érodé. Malgré ces obstacles, les Mi’kmaqs ont continué à affirmer leur souveraineté, y compris dans le domaine de la pêche, qui est au cœur du développement économique et de la prospérité de notre population.
Comme l’explique le récent rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans intitulé Paix sur l’eau, au Canada, il existe deux catégories distinctes de pêches : les pêches fondées sur les privilèges, que se pratiquent à la fois à des fins commerciales et récréatives, et les pêches fondées sur les droits, qui reposent sur les droits ancestraux des Autochtones et les droits issus de traités.
Les pêches à des fins alimentaires, sociales et rituelles et les pêches de subsistance convenable sont des exemples de pêches fondées sur les droits.
En 1999, dans une décision aujourd’hui connue comme étant l’arrêt Marshall, la Cour suprême du Canada a annulé la déclaration de culpabilité dont Donald Marshall fils avait fait l’objet pour avoir pêché, dans l’intention de les vendre, des anguilles alors que la saison était fermée. Dans cet arrêt, la cour a également reconnu et affirmé que les Mi’kmaqs, de même que les Wolastoqiyik et les Peskotomuhkati, ont le droit de chasser, de pêcher et de faire de la cueillette à des fins de subsistance convenable, ce droit étant issu des Traités de paix et d’amitié qui ont été conclus entre nos ancêtres et la Couronne en 1760 et en 1761.
Près de 25 ans plus tard, le Canada demeure réticent à appliquer cette décision et n’a effectué aucun progrès vers la mise en œuvre complète des pêches fondées sur les droits des Mi’kmaqs, des Wolastoqiyik et des Peskotomuhkati. Plutôt, l’un après l’autre, les gouvernements fédéraux rendent l’exercice de ces droits conditionnel à leur capacité de racheter les permis commerciaux qui procurent l’accès. Il en résulte que les membres des Premières Nations qui tentent d’exercer leurs droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle risquent que les agents fédéraux des pêches saisissent leurs prises, les mettent en état d’arrestation ou portent des accusations contre eux.
La criminalisation de nos activités de subsistance a non seulement contribué à la pauvreté dans nos communautés, mais a aussi alimenté l’intimidation, le harcèlement et même la violence qui s’exerce à l’encontre des membres des Premières Nations sur l’eau comme sur la terre ferme. Néanmoins, les Mi’kmaqs continuent de faire valoir leur droit de pêcher dans nos territoires traditionnels, mais ils demandent aussi au Canada d’honorer les promesses faites dans les traités.
J’espère que, de mon vivant, le Canada procédera à la mise en œuvre complète des pêches fondées sur les droits et permettra aux Mi’kmaqs de parvenir à une plus grande autodétermination et d’obtenir de meilleurs résultats socioéconomiques.
En contraste avec la situation dans les pêches fondées sur les droits, les Mi’kmaqs, comme d’autres peuples au Canada, participent également aux pêches commerciales fondées sur des privilèges et ont fait de grands progrès ces dernières années.
Un exemple notable est celui de Clearwater Seafoods, qui a été acquise en 2021 par un partenariat entre Premium Brands et la Mi’kmaq Coalition, qui comprend les communautés de Membertou, Miawpukek, Sipekne’katik, We’koqma’q, Potlotek, Pictou Landing et Paqtnkek.
La société McGraw Seafoods, achetée en 2008 par la Première Nation Elsipogtog, est un exemple moins connu, mais dont l’impact au Nouveau-Brunswick est considérable. Elle fournit des emplois aux membres de la communauté et des revenus pour soutenir divers programmes et initiatives au profit de la Première Nation. McGraw Seafoods emploie directement 200 personnes dans des postes occupés principalement par des Acadiens de la région de Tracadie‑Sheila. L’entreprise emploie également 150 pêcheurs autochtones qui vendent leurs produits directement à l’usine. En 2022, j’ai visité l’usine de transformation multi-espèces en compagnie du chef Arren Sock et j’ai dégusté le délicieux crabe des neiges récolté dans le golfe du Saint-Laurent et transformé sur place.
Clearwater Seafoods et McGraw Seafood montrent que, avec l’accès aux capitaux et aux outils requis, il est possible pour les communautés autochtones de contribuer pleinement à l’économie et de créer des perspectives d’avenir pour la génération actuelle et les générations futures, ainsi que de contribuer à la prospérité de tous les Canadiens.
En tant que fier Mi’kmaq d’Epekwitkewaq, je souhaite ensuite attirer votre attention sur les Premières Nations d’Abegweit et de Lennox Island. Après des années de plaidoyer mené par les Mi’kmaqs d’Epekwitkewaq, le gouvernement fédéral a annoncé dans le dernier budget le financement de la création et de l’exploitation d’une réserve de parc national dans la région de Pituamkek. Situé au nord-ouest de l’Île-du-Prince-Édouard, ce chapelet d’îles abrite l’un des écosystèmes de dunes côtières les plus importants de notre pays d’un point de vue écologique. Pituamkek abrite également de nombreux sites archéologiques considérés comme sacrés par les Mi’kmaqs, qui seront désormais protégés et préservés pour les générations à venir.
En tant que onzième réserve de parc national du Canada, le parc de Pituamkek, une fois ouvert au public, aura des retombées importantes non seulement pour les Mi’kmaqs, mais aussi pour l’Île-du-Prince-Édouard et l’ensemble du Canada, notamment en jouant un rôle important en matière de gestion de l’environnement et de développement économique. J’attends avec impatience l’ouverture officielle du parc de Pituamkek au public et j’encourage tout le monde à venir le visiter.
Pour répondre à la demande croissante d’expériences culturelles authentiques, la Première Nation de Lennox Island gère déjà un centre culturel, qui permet aux visiteurs de s’immerger dans l’histoire et les traditions des Mi’kmaqs. Ils peuvent ainsi écouter des histoires, créer leur propre cercle décoratif en écorce de bouleau ou tisser leur propre tambour en peau d’orignal. Si vous vous trouvez dans la province, je vous invite à vous rendre au Lennox Island Mi’kmaq Culture Centre.
Au sein de la Première Nation Abegweit, le bâtiment Abegweit Connects, qui a récemment ouvert ses portes, offre de nombreuses possibilités de développement dans le secteur du tourisme ou autre. Ce bâtiment à deux étages de 7 000 pieds carrés accueille des événements communautaires et a joué le rôle de catalyseur dans la création d’Abegweit Hospitality, une entreprise d’organisation d’événements et d’hôtellerie qui emploie désormais cinq membres de la communauté. Ces derniers facilitent la location de salles et l’organisation d’un éventail de réunions, d’événements et d’expériences touristiques. Par ailleurs, divers baux commerciaux permettent de générer des revenus et d’attirer de nouvelles entreprises dans la région, y compris l’Association touristique autochtone de l’Île-du-Prince-Édouard.
Abegweit Connects est également le siège d’Abegweit Development Inc. Cette société est une nouvelle entreprise qu’on a récemment créée afin de lancer des occasions de développement économique au sein du secteur privé. Elle a pour objectif d’améliorer la situation socio-économique de la communauté grâce à une autonomie et à une indépendance financières accrues, et est distincte du conseil de bande afin d’assurer la continuité des investissements économiques d’une administration à l’autre.
L’Indigenous PEI Store est une autre entreprise qui contribue au développement économique local de l’île. Les artistes mi’kmaq d’Epekwitk peuvent exposer et vendre leurs œuvres dans cette boutique en ligne qui a aussi pignon sur rue à Charlottetown depuis juillet 2023. Les créations de l’artiste mi’kmaq Melissa Peter-Paul, qui a fabriqué le médaillon que je porte fièrement aujourd’hui, sont exposées dans la vitrine. Elle fabrique ses œuvres en piquants de porc-épic, qui ont fait sa réputation, en insérant des piquants de porc-épic, teints ou naturels, dans de l’écorce de bouleau. Cette technique est considérée aujourd’hui comme une forme d’art rare que Melissa et quelques autres utilisent pour mettre en valeur et préserver une tradition culturelle de longue date. Les artisans comme Melissa jouent un rôle important dans la revitalisation et la préservation de notre culture et de nos traditions, ainsi que dans le renforcement du bien-être des personnes, des familles et des communautés.
Néanmoins, nous devons donner aux entrepreneurs autochtones les moyens de créer et de développer des entreprises prospères et durables, par exemple en rendant les capitaux, les services financiers et les mesures d’aide plus accessibles. Les entrepreneuses autochtones font face à des défis supplémentaires en raison du rôle qu’elles jouent au sein de la famille et de la communauté, ainsi que des conditions d’admissibilité difficiles pour le financement. Par conséquent, un soutien ciblé s’avère nécessaire pour combler l’écart entre les entrepreneurs autochtones et les entrepreneuses autochtones.
En conclusion, chers collègues, les Mi’kmaqs continuent d’enrichir l’économie du Mi’kma’ki de bien des façons. En fait, selon une étude intitulée The Significant Economic Contributions of Atlantic Indigenous Businesses and Communities, menée en 2023 par l’Atlantic Economic Council pour l’Atlantic Policy Congress, les entreprises et les communautés autochtones d’Epekwitk ont apporté une contribution de 60 millions de dollars au PIB total du Canada atlantique, qui s’élève à 3,6 milliards de dollars. Le conseil travaille actuellement à la publication de son rapport final, qui inclura plus de données sur les contributions économiques des peuples autochtones dans le Canada atlantique. J’ai hâte de vous faire part de cette information lorsqu’elle sera disponible.
Honorables sénateurs, apprécions, célébrons et soutenons les contributions économiques inestimables des entreprises et des communautés autochtones du Mi’kma’ki et d’ailleurs. Dans un esprit de réconciliation, travaillons ensemble pour amplifier leurs voix, encourager leurs initiatives et cultiver des partenariats fondés sur le respect mutuel, l’équité et la prospérité. Wela’lin. Merci.
Des voix : Bravo!