L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-13, un important projet de loi d’initiative ministérielle qui vise à protéger et à promouvoir le français au Canada.
Je fais également remarquer que le projet de loi C-13 remplit une promesse électorale du gouvernement. En cette ère de Sénat indépendant, c’est toujours un point que la Chambre nommée doit prendre en considération comme l’ont souligné à maintes reprises les sénateurs Harder et Dalphond et d’autres sénateurs.
Après une étude préalable approfondie, nous avons reçu le projet de loi C-13 en mai. Je parlerai de certaines de mes préoccupations à l’égard du projet de loi concernant les aéroports de l’Ouest canadien dans le contexte de la Saskatchewan, tout en appuyant pleinement l’objectif du projet de loi C-13 qui consiste à protéger et à promouvoir les droits linguistiques des francophones et des minorités au Canada.
Je vais commencer par une vue d’ensemble. Le français est l’une des langues officielles du Canada et c’est une source de fierté pour notre fédération et pour moi personnellement, y compris dans le cadre de ma lignée en raison de mes sextaïeuls, quinquisaïeuls et quadrisaïeuls nés au Québec. Notre identité internationale, notre histoire commune et de nombreuses particularités culturelles canadiennes reflètent notre place au sein de la francophonie. Il est essentiel de protéger le français, une langue qui est menacée d’érosion dans une Amérique du Nord essentiellement anglophone, et qui fait partie intégrante de l’identité des Québécois, des Acadiens et des autres Canadiens français, sans oublier les Cajuns en Louisiane que les Britanniques ont chassés d’Acadie au XVIIIe siècle.
Les Métis et de nombreuses Premières Nations ont appris à parler le français et l’anglais quand les nations traitaient d’égal à égal. Les Métis maîtrisaient le français, l’anglais et les langues autochtones, ce qui en faisait des personnes très recherchés par ceux s’occupaient du système commercial de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ils servaient souvent d’interprètes, de négociateurs commerciaux, de commis et de guides pour les voyageurs et les explorateurs. Sans eux, les Européens n’auraient pas pu naviguer dans ce vaste pays aux réseaux hydrographiques complexes et aux cols traversant les chaînes de montagnes escarpées.
Cependant, les deux langues officielles du Canada font abstraction de la présence de nombreuses langues autochtones parlées par des peuples qui sont ici depuis des temps immémoriaux.
Le succès de Samuel de Champlain dans la fondation de la Nouvelle-France repose sur l’établissement d’alliances et de relations respectueuses avec les Premières Nations. En 1603, le chef innu Anadabijou accueille Champlain lors d’un festin qui permettra de fixer les conditions de la grande alliance pour la présence française dans le pays. De nombreux spécialistes soutiennent que cette rencontre entre nations, à Tadoussac, là où la rivière Saguenay rencontre le Saint-Laurent, marque le véritable début du Québec, voire du Canada.
Même si les politiques coloniales ultérieures leur ont porté un rude coup, les langues autochtones sont cruciales pour les nations de notre pays. L’article 22 de la Charte stipule clairement que les droits relatifs aux langues officielles n’abrogent pas les droits relatifs aux langues autochtones et n’y dérogent pas. En ce qui concerne l’avenir linguistique du Canada, nous avons encore beaucoup à faire pour redonner aux langues autochtones la place qui leur revient dans notre société.
Nous devons mieux promouvoir et protéger ces langues, dont un grand nombre est menacé de disparition. Le Parlement a agi en adoptant le projet de loi C-91 sur les langues autochtones en 2019. Les anciens sénateurs Joyal et Sinclair ont travaillé ensemble sur les droits linguistiques. Ce faisant, ils ont mis la table pour le projet de loi C-91 grâce au travail accompli par le sénateur Joyal avec le projet de loi S-212 sur les langues autochtones. Voilà un exemple inspirant de la solidarité des minorités linguistiques du Canada.
Le sénateur Sinclair avait déclaré ceci au sujet du projet de loi S-212 :
« Qui êtes-vous? » Je ne demande pas cela pour la forme. Je vous invite à réfléchir à la question fondamentale de votre identité et de votre caractère. Pour pouvoir répondre à cette question, vous devez savoir d’où vos ancêtres et vous venez. Vous devez aussi connaître vos valeurs, votre histoire personnelle et collective, vos influences, vos ambitions et votre but dans la vie.
La langue et la culture sont des éléments clés de l’identité personnelle. L’identité personnelle est essentielle à la confiance en soi, tandis que le bien-être spirituel et mental dépend de l’estime de soi d’une personne.
J’aimerais que les jeunes Autochtones parlent couramment leur langue maternelle. Un jour, j’aimerais que les discussions avec les Canadiens non autochtones se déroulent dans ces langues. Je note que le ministre Miller a entrepris d’apprendre la langue mohawk.
En ce qui concerne le français, nous savons que la promulgation de la Loi sur les langues officielles en 1969 a été une étape décisive. Comme elle reconnaissait et protégeait la dualité linguistique prédominante de la population canadienne, elle tranchait nettement avec le rapport Durham de 1839, qui proposait l’assimilation des francophones du Bas-Canada.
Le projet de loi C-13 constitue la première mise à jour substantielle de la Loi sur les langues officielles depuis de nombreuses années. J’appuie les objectifs de ce projet de loi en matière de protection et de promotion du français, ainsi que les éléments qui visent à soutenir les communautés linguistiques minoritaires.
Si j’ai une mise en garde ou une préoccupation au sujet de ce projet de loi, c’est que le travail que nous faisons pour rendre le pays davantage bilingue doit s’appuyer sur une bonne compréhension du niveau actuel de maîtrise des langues officielles par la plupart des Canadiens. À cet égard, je mets mon chapeau de Saskatchewanais, et je me concentre sur les aspects pratiques du bilinguisme et les obligations à cet égard dans les aéroports de l’Ouest canadien.
Dans la plupart des villes, villages et localités du Canada, il y a une langue prédominante qui est parlée par la plupart des habitants. La plupart des citoyens n’ont qu’une connaissance limitée de l’autre langue officielle, qu’il s’agisse du français ou de l’anglais. Il y a bien sûr des exceptions, comme en témoignent des communautés du Québec, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de l’Ontario et d’autres provinces. Dans l’ensemble, toutefois, la plupart des Canadiens maîtrisent soit l’anglais, soit le français, mais pas ces deux langues.
Le projet de loi C-13 vise à changer la situation et j’appuie entièrement cet objectif. Parallèlement, si l’on demande aux entreprises et aux secteurs de compétence fédérale de satisfaire à de nouvelles exigences en matière de bilinguisme, alors nous devons être réalistes et faire preuve de compréhension à l’égard du fait que la langue maternelle d’une majorité de Canadiens n’est pas une langue officielle.
La partie 2 du projet de loi porte sur les régions à forte présence francophone, définition à l’appui, et les attentes envers les entreprises de compétence fédérale. Comment le projet de loi s’appliquera-t-il aux communautés et à la main-d’œuvre de compétence fédérale dans les régions où il y a une représentation francophone minimale ou faible?
Prenons l’exemple de la Saskatchewan, ma province. En 2020, le Commissariat aux langues officielles a souligné que le français est la langue maternelle d’environ 1,5 % de la population. C’est très faible comme représentation au sein de la population de la province. Il ne fait aucun doute que les Saskatchewanais francophones doivent avoir le soutien nécessaire pour protéger leurs droits linguistiques, surtout lorsqu’ils ont recours aux services de compétence fédérale. Toutefois, nous devons garder à l’esprit qu’il faudra du temps et des actions concrètes, surtout là où les francophones sont en minorité comme en Saskatchewan, pour faire la transition vers un bilinguisme plus répandu. Cela dit, en Saskatchewan, une province d’au moins 1,2 million d’habitants, je sais qu’il y a au moins cinq communautés francophones. Il y a des programmes scolaires d’immersion en français et une population florissante et grandissante de Fransaskois dans les grandes villes de la province.
Cependant, pour beaucoup de jeunes, surtout ceux qui vivent dans la pauvreté pendant leur enfance, il est très difficile d’apprendre une deuxième langue, même s’ils en ont la possibilité.
Le Parlement a entendu beaucoup de gens se prononcer pour et contre le projet de loi. Ceux qui y sont favorables invoquent son appui à la promotion du français et à la protection des communautés linguistiques minoritaires. Ceux qui sont contre se disent préoccupés par son impact potentiel sur les Québécois anglophones et ont soulevé des questions sur la mise en œuvre des dispositions du projet de loi.
Pour parler d’une de mes préoccupations, je vais me servir d’un exemple qui a été mis en évidence dans le rapport annuel présenté récemment par Raymond Théberge, le commissaire aux langues officielles.
Dans une partie de son rapport, le commissaire souligne que beaucoup de Canadiens ont toujours de la difficulté à obtenir des services dans la langue officielle de leur choix dans les grands aéroports.
C’est une préoccupation pour de nombreux voyageurs canadiens qui souhaitent parler la langue de leur choix, voire la seule qu’ils maîtrisent, au cours de leurs déplacements. Je comprends cette préoccupation. Les grands aéroports ont déjà des obligations au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Lorsque ces obligations ne sont pas respectées, cela peut être frustrant, en particulier pour les francophones.
Dans son rapport, le commissaire indique qu’il a travaillé avec les aéroports pour assurer un meilleur respect de la loi et qu’il pense que les nouveaux pouvoirs que lui confère le projet de loi C-13 l’aideront à atteindre cet objectif.
En même temps, certaines organisations de l’industrie du voyage, telles que les autorités aéroportuaires, ont exprimé leur inquiétude quant aux pouvoirs supplémentaires qui seraient accordés au commissaire. Le projet de loi confère au commissaire des pouvoirs supplémentaires pour conclure des accords de conformité, émettre des ordonnances et imposer des sanctions administratives pécuniaires dans le secteur du voyage. Il peut s’agir d’une mesure importante pour rendre le Canada plus bilingue. Toutefois, si des organisations, telles que les autorités aéroportuaires dans des endroits comme Regina et Saskatoon, ont du mal à respecter les ordonnances parce qu’elles ont de la difficulté à recruter du personnel parlant français, il s’agit d’une dynamique qui doit être gérée avec beaucoup de soin.
Je souligne que le Comité sénatorial des langues officielles a ajouté une observation dans son rapport, indiquant une incohérence dans le régime des droits linguistiques pour les voyageurs canadiens. Il recommande au gouvernement fédéral de :
[…] mettre sur pied un régime de droits linguistiques cohérent et clair pour le public voyageur […]
C’est une bonne idée. Je pense qu’il nous faut plus de clarté dans ce domaine pour que les administrations aéroportuaires, les compagnies aériennes, le gouvernement et les Canadiens puissent évoluer en ayant une compréhension commune de la situation.
Honorables sénateurs, nous devons veiller à ne pas imposer accidentellement aux entreprises et aux organisations qui mènent des activités dans des régions largement unilingues des obligations linguistiques de bilinguisme qu’elles ne seront pas en mesure d’honorer. Il est difficile de trouver des francophones en Saskatchewan, tout simplement parce qu’ils sont sous-représentés.
En Saskatchewan, le taux de chômage est de 4,4 % et nous cherchons des employés. Nous construisons davantage de maisons et de logements locatifs si des professionnels et des travailleurs qualifiés bilingues souhaitent venir vivre, travailler et se divertir dans notre belle province.
Les différences régionales et la représentation francophone varient d’une région à l’autre du Canada. Avec ce projet de loi, je crois qu’il n’y a pas de solution unique qui fonctionnera. Dans des endroits comme Regina ou Saskatoon, où les francophones sont relativement peu nombreux, augmenter les services bilingues, c’est plus facile à dire qu’à faire. C’est une réalité dont nous devons tenir compte. En même temps, nous voulons respecter et soutenir cette caractéristique unique de notre identité à l’échelle internationale tout en veillant à ne pas placer les Canadiens de l’Ouest en marge des valeurs linguistiques de notre fédération.
Je m’attends à ce que tous les sénateurs appuient l’idée d’aider davantage de Canadiens à devenir bilingues et à recevoir des services dans la langue de leur choix, mais nous devons travailler à l’atteinte de cet objectif en tenant compte des réalités d’un pays où la plupart des gens ne parlent actuellement qu’une seule langue. C’est pourquoi je m’attends à ce que le Sénat continue à jouer un rôle de surveillance et de reddition de comptes dans l’application du projet de loi C-13, y compris en fournissant une évaluation essentielle et des recommandations qui pourraient s’avérer nécessaires, tout en jouant ce rôle dans le respect du français, de l’anglais et des langues autochtones.
Je voterai en faveur du projet de loi C-13 et je vous invite à faire de même. Je demande également au Sénat de protéger les intérêts légitimes des aéroports de l’Ouest du Canada et de s’assurer que nous offrons des solutions pratiques alors que nous nous dirigeons vers un pays de plus en plus bilingue. Merci, hiy kitatamihin.