L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-21.
Cette mesure législative a fait l’objet d’un vif débat, tant au Parlement que dans les médias. Je tiens à faire part de mes réflexions sur ce projet de loi et à exprimer certaines préoccupations qui reflètent probablement l’opinion de nombreuses personnes qui ont suivi ce débat.
En m’exprimant sur ce projet de loi, je suis conscient que je m’avance dans l’un des dossiers les plus controversés que nous puissions aborder en tant que législateurs au Canada, à savoir les lois sur les armes à feu. Je ne m’attarderai pas sur le bien-fondé de la possession d’armes à feu ni sur les divers facteurs sociaux et politiques qui sont souvent au cœur de ce débat.
Mon objectif est simplement d’aborder les différents aspects du projet de loi C-21 qui, selon moi, mériteraient d’être améliorés, ainsi que les lacunes qui, à mon avis, ont entravé le processus législatif.
Tout d’abord, je tiens à souligner les aspects positifs du projet de loi C-21. Je me félicite que le projet de loi reconnaisse les nouvelles réalités de la lutte contre les armes de contrebande et illégales. Les armes à feu ont bien changé depuis leur invention. Les fusils qui étaient utilisés par les soldats, les chasseurs et les agriculteurs dans les années 1800 ont peu en commun avec les armes à feu d’aujourd’hui.
Les armes actuelles sont nettement plus puissantes et sont fabriquées différemment. En fait, la fabrication des armes à feu a considérablement changé grâce aux imprimantes 3D qui facilitent la tâche. Nous connaissons tous les imprimantes 3D et les résultats impressionnants qu’elles peuvent donner. Malheureusement, le recours à ces imprimantes pour la fabrication des armes à feu, ou de leurs composantes, et l’avènement subséquent des armes fantômes sont devenus une grave source de préoccupation, particulièrement dans les grands centres urbains. Je me réjouis que le projet de loi C-21 propose des mesures pour s’attaquer au problème, et j’étais ravi d’apprendre que tous les partis à l’autre endroit abondent dans le même sens.
Dans le même ordre d’idées, l’introduction de dispositions permettant de signaler des situations moyennement ou extrêmement préoccupantes est une approche judicieuse qui, à mon avis, contribuera à éliminer la présence d’armes à feu dans des situations de violence potentielle. Les sénateurs ne souscriront pas tous à cette mesure législative, mais ils conviendront, comme nous tous, de la nécessité de protéger la population, particulièrement les groupes vulnérables, de toute menace de violence.
Selon moi, les mesures de signalement et d’intervention sont un pas dans la bonne direction. Le sénateur Yussuff en a déjà parlé dans son discours. Je me contenterai de dire qu’il me semble logique de permettre au système judiciaire de prendre proactivement des mesures pour protéger les victimes contre la violence armée. J’estime aussi que l’adoption de ces dispositions nous rapproche des résultats souhaités. Il faut évidemment que les droits de tous les citoyens soient respectés, que les lois soient utilisées avec prudence et qu’elles visent à protéger la population contre le risque de violence commise par des propriétaires d’armes à feu illégales, des personnes enclines aux comportements violents, des gangs et des propriétaires ou futurs propriétaires d’armes à feu au bord d’une crise pouvant les mener à se faire du mal ou à faire du mal à d’autres personnes.
J’ai aussi quelques réserves au sujet du projet de loi. J’estime que le projet de loi C-21 est louable, mais qu’il a fait l’objet de beaucoup de controverse tout au long du processus législatif. De très vastes amendements ont été présentés, puis retirés. Les propriétaires d’armes à feu et les chefs autochtones ont exprimé de vives inquiétudes. Malheureusement, le débat s’est envenimé dans l’espace public, surtout dans les régions rurales du Canada. Je vais essayer de rester bref et de ne pas verser dans la démagogie. En somme, j’estime que le projet de loi a des défauts et qu’il pourrait poser des problèmes aux propriétaires d’armes à feu respectueux des lois.
Les comportements criminels devraient constituer notre cible première, et les personnes qui font entrer illégalement des armes à feu au Canada m’inquiètent particulièrement. Quoi qu’on puisse penser de ce projet de loi, nous devrions tous convenir que les armes à feu illégales qui traversent la frontière constituent un problème. Selon moi, nous devons resserrer les lois sur la contrebande et adopter des peines dissuasives. Nous devons intensifier les patrouilles à la frontière afin de mettre fin à l’arrivée d’armes à feu illégales. Comme vous le savez, le projet de loi C-21 fera passer de 10 à 14 ans la peine d’emprisonnement maximale pour certaines infractions liées aux armes à feu, dont la contrebande et le trafic.
Il s’agit d’un bon début, mais je me demande si quatre ans de prison de plus suffiront à dissuader ceux qui font déjà entrer des armes à feu en douce dans notre pays. Cette augmentation de la peine maximale — et j’insiste : de la peine maximale, et non minimale — suffira-t-elle pour faire cesser cette pratique et avoir une réelle incidence sur le nombre d’armes à feu que les contrebandiers font entrer au Canada? J’en doute, pour tout vous dire. Pourtant, selon ce que j’en comprends, 14 ans, c’est la dernière étape avant la réclusion à perpétuité. Peut-être devrait-il s’agir d’une peine de 14 ans, mais sans possibilité de libération conditionnelle à moins de suivre un programme de réadaptation susceptible de provoquer un réel changement de mentalité et de faire l’objet d’une évaluation qui confirme le faible risque de récidive.
Les sénateurs ont débattu du concept des peines minimales obligatoires ces dernières années. Le projet de loi C-5, qui a été adopté par le Parlement l’an dernier, a éliminé les peines minimales obligatoires visant de nombreuses infractions criminelles, mais il ne les a pas éliminées pour l’ensemble des infractions liées aux armes à feu, comme celles qui sont liées à l’utilisation d’armes prohibées ou à autorisation restreinte. Depuis, d’autres débats ont surgi au sujet des répercussions de l’élimination des peines minimales obligatoires et de ses effets sur la criminalité. Devrions-nous rétablir les peines minimales obligatoires pour tous les crimes commis au moyen d’une arme à feu? Je ne connais pas la réponse à cette question, mais je ne suis pas convaincu que le fait de prolonger de quelques années les peines maximales liées au trafic d’armes va contribuer à résoudre le problème auquel nous sommes confrontés sans un programme de réadaptation efficace faisant l’objet d’une vérification portant sur sa mise en œuvre, son exécution et son taux de réussite.
Le gouvernement a admis qu’un seul programme ou une seule initiative publique ne permettra pas de résoudre le problème de la violence liée aux armes à feu. À mes yeux, c’est un argument à la fois juste et raisonnable. Nous n’allons pas éliminer la violence armée simplement en interdisant les armes automatiques ou les armes de poing. Certains diront que de telles interdictions font partie intégrante de la résolution de ce dossier, mais je crois qu’à elles seules les interdictions ne régleront pas le problème. Nous devons nous attaquer aux facteurs socioéconomiques qui engendrent la violence armée, tout comme nous devons nous attaquer aux problèmes de santé mentale qui, si nous ne faisons rien, pousseront probablement une personne à être violente.
Nous devons également nous attaquer aux gangs, qui sont au cœur de la violence armée au Canada depuis des dizaines d’années. Le degré de violence a fluctué au fil des ans, mais nous n’avons jamais réussi à éliminer les gangs malgré tous les efforts déployés par les forces de l’ordre, les gouvernements et la société dans son ensemble. Nous devons mettre les bouchées doubles. Il faut s’attaquer à la violence liée aux gangs avec détermination, faute de quoi nous continuerons à être confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui frappent nos villes actuellement.
Je suis heureux que le ministre de la Sécurité publique ait annoncé en mai que le gouvernement fédéral prévoit de dépenser 390 millions de dollars sur cinq ans pour aider les provinces à lutter contre la violence liée aux gangs. C’est un bon début, mais nous devons agir avec persévérance sur une longue période si nous voulons faire de réels progrès.
Je voudrais également aborder la question des répercussions du projet de loi C-21 sur les peuples autochtones. Comme pour tout projet de loi dont le Sénat est saisi, les droits des peuples autochtones et des Autochtones eux-mêmes doivent être respectés. Autrement dit, il faut consulter les peuples autochtones pour veiller à ce que leurs droits soient respectés. C’est une obligation sacrée que je prends très au sérieux.
Nous avons vu la controverse qui a éclaté il y a quelques mois lorsque le gouvernement fédéral a proposé des amendements au projet de loi à l’étape de l’étude en comité à l’autre endroit, et que des organisations autochtones ont parlé haut et fort. Je comprends que le projet de loi C-21 contient une disposition qui précise que rien n’abroge les droits des peuples autochtones ou n’y déroge, mais je pense que le gouvernement aurait dû mieux piloter les consultations préalables avec les dirigeants autochtones. L’Assemblée des Premières Nations a même voté pour s’opposer publiquement au projet de loi lorsque le gouvernement a proposé des amendements controversés et elle a également exprimé son inquiétude quant au fait que les armes d’épaule traditionnellement utilisées par les Autochtones étaient visées. Je me réjouis que le gouvernement ait retiré ces amendements controversés, mais des consultations préalables efficaces menées plus tôt dans le processus auraient probablement été utiles pour tous les intervenants, car elles auraient peut-être même fait ressortir des solutions qui auraient conduit à des politiques novatrices.
Je tiens à dire que j’ai été frappé par le discours du sénateur Kutcher et par ses remarques sur le lien entre les armes à feu et le suicide. Ce n’est un secret pour personne que les armes à feu sont souvent utilisées comme moyen de prédilection lorsqu’une personne choisit de mettre fin à ses jours. C’est une triste réalité à laquelle nous devons faire face. Le sénateur Kutcher a souligné dans son discours qu’une étude récente a révélé que les hommes et les femmes qui possèdent des armes de poing sont plus susceptibles de mourir d’une blessure par balle qu’ils s’infligent eux-mêmes. Le projet de loi C-21 est-il la solution pour réduire le nombre de suicides par balle au Canada? Je ne peux pas répondre à cette question avec certitude, mais je me fais l’écho du sénateur Kutcher pour dire que le sujet devrait être étudié plus en profondeur.
J’aimerais aborder un autre point qui me préoccupe. À ma connaissance, le gouvernement fédéral ne dispose pas d’une ligne téléphonique dédiée et anonyme ou d’un système de signalement en ligne que le public pourrait utiliser pour dénoncer en toute confidentialité les gens qui possèdent illégalement une arme à feu ou les propriétaires d’armes à feu présentant un comportement inquiétant. Bien sûr, il existe des services tels qu’Échec au crime qui peuvent être utilisés, mais un système dédié aux crimes, ou aux crimes potentiels, commis avec des armes à feu serait utile à l’ère des fusillades de masse. Nous disposons de lignes anonymes pour signaler la conduite en état d’ivresse, alors pourquoi ne pourrions-nous pas en avoir une pour les crimes commis avec des armes à feu? À mon avis, cela mérite d’être envisagé et j’aurais aimé que le projet de loi C-21 prévoie la mise en place d’un système similaire.
Chers collègues, le projet de loi C-21 a fait l’objet de beaucoup de débats, non seulement au Parlement, mais également dans les médias et les foyers des Canadiens, qu’ils soient propriétaires d’armes à feu ou non. De telles discussions sont saines et caractéristiques de notre démocratie. Malheureusement, le discours entourant ce projet de loi et d’autres du même genre a parfois erré à l’extérieur du cadre d’une saine démocratie.
Peu importe leur opinion, les gens ont des positions bien arrêtées au sujet des armes à feu, et je peux comprendre pourquoi. J’espère qu’en exprimant avec pondération les préoccupations au sujet du projet de loi, les sénateurs seront en mesure d’étudier les difficultés soulevées et les autres mesures qui pourraient être prises. J’espère avoir contribué à la réflexion à cet égard.
Les armes à feu seront toujours un sujet controversé. Nous devrions débattre du bien-fondé des lois sur les armes à feu d’une façon équitable, ouverte et honnête, dans le respect du dialogue qui est caractéristique de notre démocratie, peu importe nos opinions et nos convictions personnelles à ce sujet. J’ai hâte d’entendre la suite du débat. Merci. Hiy kitatamihin.