L’honorable Marty Klyne, ayant donné préavis le 28 mars 2023 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur l’apport commercial et économique continu des entreprises autochtones à l’économie du Canada.
— Honorables sénateurs, je suis heureuse de lancer cette interpellation visant à reconnaître la contribution des entreprises détenues et contrôlées par des Autochtones au Canada. Les entrepreneurs et les entreprises autochtones contribuent de façon essentielle à l’indépendance, à la création de la richesse et à l’autodétermination au sein des peuples autochtones. Les expériences qui seront racontées dans le cadre de cette interpellation permettront de donner des exemples d’entreprises autochtones qui ont eu énormément de succès, et surtout, de souligner leur contribution précieuse à l’économie du pays et l’importance de tirer profit des ressources et des capacités de productivité et d’innovation qui demeurent inexploitées.
Je vous dirais également qu’il est essentiel que nous nous penchions sur des moyens d’éliminer des obstacles afin de faciliter l’accès à la formation, au perfectionnement et aux capitaux de manière à développer davantage l’économie du pays.
Je suis fière de pouvoir prendre la parole dans cette enceinte pour raconter ces expériences, et j’ai hâte d’entendre d’autres sénateurs participer à cette conversation dans les semaines et les mois à venir.
Honorables collègues, nous parlons beaucoup de réconciliation, et plus particulièrement du respect des droits et de la réparation des injustices. La réconciliation économique est un sujet connexe qui mérite toute notre attention. Le Canada pourra avancer plus vite et aller plus loin si tous ses habitants ont des chances égales de prospérer et de contribuer à l’enrichissement collectif.
C’est d’ailleurs un des points abordés dans le rapport que le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité a publié en 2021. Par conséquent, tâchons de reconnaître et de célébrer l’excellence des entreprises et des organismes de développement économique autochtones du Canada qui contribuent à créer de la richesse, à promouvoir l’indépendance et l’autodétermination, et surtout, à donner de l’espoir.
Depuis des décennies, on entend dire que les entreprises autochtones sont peu nombreuses, accusent du retard, dépendent largement de l’appui du gouvernement et font une contribution insignifiante au PIB de même qu’au tissu social et au bien-être de la population du Canada. Or, la réalité indique tout le contraire. Le Conseil national de développement économique des Autochtones révèle que plus de 50 000 entreprises sont détenues par des Autochtones au Canada et qu’ensemble elles contribuent au produit intérieur brut à hauteur de 31 milliards de dollars par année.
Qui plus est, dans le rapport de 2021 du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité mentionné précédemment, des acteurs de premier plan dans le développement économique autochtone au pays ont indiqué qu’au cours des prochaines années, les entreprises détenues par des Autochtones au Canada contribueront au PIB à hauteur de 100 milliards de dollars.
On compte plus de 50 institutions financières autochtones au Canada d’un océan à l’autre qui financent le lancement, l’expansion et l’acquisition d’entreprises appartenant à des Autochtones et dirigées par des Autochtones. Bon nombre de ces institutions, qui avaient au départ un capital de 5 millions de dollars, ont consenti des prêts notamment pour le démarrage d’entreprises. Ces bailleurs de fonds ont été remboursés avec intérêts et ont prêté de nouveau, faisant fructifier de nombreuses fois leur capital et créant des milliers d’emplois. En tant que bailleurs de fonds pour le développement, ces institutions financières autochtones jouent essentiellement le même rôle que les grandes banques et les coopératives de crédit et offrent un financement équivalent. Bref, lorsqu’elles prêtent 1 $, ces institutions financières autochtones ont un rendement de 3 à 4 $.
Elles fournissaient également des services de planification et de consultation aux entreprises. En fin de compte, le coût de la création d’un emploi était bien inférieur à celui de tout programme gouvernemental — et de loin —, sans parler du renforcement des capacités et de la création de richesse par la même occasion. Par ailleurs, les provisions relatives aux pertes sur prêts de ces institutions financières autochtones étaient extrêmement favorables, en grande partie à cause de la surveillance officieuse exercée par les pairs et par la communauté.
Je vais vous donner l’exemple d’une organisation de ma province, la Saskatchewan, qui vous montrera à quoi ressemblent les organisations autochtones modernes au Canada. Je commencerai par l’histoire de la Première Nation dakota de Whitecap et de l’inspirante réussite économique qu’elle a connue au cours des trente dernières années. Les origines de la nation dakota de Whitecap remontent à des temps immémoriaux. Son histoire est riche et colorée, et elle illustre le succès obtenu grâce à l’innovation et au travail acharné, malgré les obstacles qui se dressaient contre elle.
Pendant des générations, les Dakotas ont entretenu des liens d’amitié et de partenariat avec la Couronne britannique, et ils se sont ensuite installés dans une région connue sous le nom de Moose Woods, située non loin de Saskatoon. Au fil des ans, alors que le Canada devenait un pays, de nombreux non-Autochtones ont prospéré. Malheureusement et injustement, des générations de Dakotas n’ont pas pu accéder au même niveau de richesses et de prospérité. Les politiques coloniales, y compris les violations des droits et les traumatismes infligés par le système des pensionnats, n’ont pas seulement eu un impact social et culturel négatif sur les Dakotas. Elles ont aussi tragiquement réduit leur capacité économique, ce qui s’est traduit par des années de chômage élevé et de perspectives extrêmement limitées. Ces occasions ratées ne nuisent pas seulement à la Première Nation dakota de Whitecap, mais bien à tout le monde, Autochtones comme non-Autochtones.
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À un certain moment, la Première Nation dakota de Whitecap a compris qu’elle devait créer elle-même les conditions propices à sa prospérité. Dans les années 1990, sous le leadership du conseil de bande — particulièrement sous celui du chef Darcy Bear —, la nation a décidé a prendre son destin en main. Avec courage et détermination, elle est passée à l’action et s’est mise à la recherche de possibilités de développement afin de bâtir un avenir meilleur pour les gens de la communauté. Faisant preuve de persévérance, la nation a cherché méthodiquement des investissements et a obtenu des résultats. À ce jour, la Première Nation dakota de Whitecap a réussi à attirer plus de 160 millions d’investissements de capitaux dans les secteurs du développement économique et du tourisme, et ce n’est qu’un début.
La nation de Whitecap doit certaines de ses réussites les plus remarquables à la Whitecap Development Corporation. Les organismes voués au développement économique peuvent jouer un énorme rôle quand il s’agit d’attirer des investissements et des occasions de réussite, comme l’exemple de Whitecap le montre à merveille. La nation peut s’enorgueillir d’avoir des entreprises fantastiques, comme le Dakota Dunes Golf Links, un terrain de golf réputé dont le parcours, parsemé de dunes de sable et de roses sauvages, est d’une beauté naturelle à couper le souffle. Il se classe au premier rang parmi les terrains de golf publics de la Saskatchewan, une province qui compte beaucoup de terrains de golf très bien cotés.
La nation de Whitecap possède d’autres entreprises, notamment le centre de villégiature Dakota Dunes et le casino à proximité. Ce lieu de villégiature unique et haut de gamme offre des services exceptionnels dans un contexte mettant en valeur l’histoire et la culture de la nation Dakota de manière authentique. Le parcours de golf, l’hôtel et le casino ne sont pas seulement des installations luxueuses. Ils sont aussi des moteurs économiques importants qui ont contribué à la création d’emplois, procurant ainsi aux jeunes des possibilités qui n’existaient pas pour les générations précédentes.
Aujourd’hui, la nation de Whitecap offre des services de soins de santé et de garderie qui sont accessibles autant aux membres de la bande qu’aux non-membres.
Y a-t-il eu des obstacles en cours de route? Bien sûr. En fait, un grand nombre de sociétés de développement économique autochtone ont tiré une leçon de la pandémie de COVID-19, qui a mis en évidence le fait que la majorité des investissements étaient consacrés à l’industrie touristique. Comme on le sait, ce secteur a été durement touché par la pandémie, ce qui a fait ressortir l’importance de diversifier les secteurs d’activités afin d’être mieux préparées aux contingences.
Comme tant d’autres collectivités entrepreneuriales autochtones au Canada, la nation de Whitecap a trouvé des possibilités là où peu de personnes en voyaient. Cette façon de voir les choses a changé des vies. Cette réserve, qui était au départ isolée sur le plan économique, est devenue un important moteur pour l’économie de notre province. L’histoire de cette nation est très inspirante.
La nation de Whitecap a changé la donne et est maintenant un exemple au Canada de ce qui peut se produire lorsque des Autochtones prennent en main leur propre destinée. C’est ce parcours, cette foi inébranlable en son propre potentiel, qui a motivé la nation Dakota de Whitecap et qui motive tellement d’autres entreprises autochtones au Canada.
Lorsque j’ai discuté du succès de la nation de Whitecap avec le chef Bear, il y a quelques mois, il m’a parlé de l’importance de créer des emplois dans la réserve et de ce que cela signifiait pour son peuple. Il m’a dit que le taux de chômage avait considérablement diminué et que les jeunes avaient davantage de modèles et de meilleurs débouchés. Plus important encore, ces jeunes avaient de l’espoir. Si jamais vous vous demandez pourquoi le taux de suicide est si élevé dans certaines réserves, c’est à cause du désespoir et des sombres perspectives d’avenir.
Les réalisations du chef Bear sont éloquentes. On lui a décerné l’Ordre du Canada et l’Ordre du mérite de la Saskatchewan. En 2012, il a reçu la médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II.
Ses réalisations dans le domaine des affaires sont elles aussi impressionnantes. Il est président de SaskPower; il a fait partie de la liste des dix personnes les plus influentes du Saskatchewan Business Magazine; et il a été nommé développeur économique de l’année par CANDO en 2006. Plus récemment, en 2016, il a reçu le prix pour l’ensemble des entreprises autochtones du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone.
Je suis également heureux de pouvoir affirmer que la nation Dakota de Whitecap entre dans l’histoire en devenant la première nation autochtone autonome de la Saskatchewan à la suite d’un vote historique de ses membres en octobre dernier. Il s’agit d’une étape importante qui contribue à consolider les efforts déployés par cette nation pour parvenir à une autonomie financière et à une autodétermination encore plus grandes au sein de notre nation des nations.
Jadis, les peuples autochtones ont été les premiers chefs d’entreprise sur le territoire, le commerce continental ayant prospéré avant l’arrivée des Européens. Lorsque les colons sont arrivés, nos peuples ont partagé avec eux ce qu’ils avaient, y compris les connaissances et les ressources locales essentielles, créant ainsi la base du système commercial du pays. La traite des fourrures en est un exemple. Cependant, comme nous le savons tous, l’esprit de respect mutuel et de partenariat qui régnait à l’époque a pris une autre tournure.
En acceptant la vérité historique, la réconciliation vise à raviver l’esprit de respect et d’avantages mutuels, y compris dans les entreprises économiques sur les terres et les eaux partagées. Je pense à l’exploitation des ressources, comme celle des minéraux essentiels, et à tous les domaines de croissance des entreprises qui accompagnent les projets réussis.
Les entreprises autochtones nous entourent. Elles sont présentes partout au Canada, dans les centres urbains comme dans les villes rurales, dans les marchés partout au pays et, oui, à la fois dans les réserves et hors des réserves. Les entreprises autochtones mènent souvent leurs activités dans des domaines où les entreprises non autochtones ne voient pas de débouchés. Elles prennent l’initiative de veiller à ce que les collectivités mal desservies aient accès à des biens et à des services non discrétionnaires. Après tout, il est peu probable que vous trouviez un Shoppers Drug Mart ou un Walmart dans une réserve qui n’est accessible que par avion.
Une étude réalisée en 2016 par le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone a révélé que les entreprises autochtones ont tendance à se concentrer sur les marchés locaux, mais que nombre d’entre elles élargissent désormais leur clientèle au-delà de leurs zones de soutien traditionnelles. C’est dans ces zones que les entreprises autochtones comblent des lacunes, servent des clients et créent des emplois et de la prospérité.
Ce sujet me touche personnellement. Avant de devenir sénateur, j’ai travaillé dans le monde des affaires à la tête de grandes, de moyennes et de petites entreprises, dont une société autochtone de financement qui a financé la création de centaines d’entreprises appartenant à des Autochtones et contrôlées par des Autochtones, qui ont employé des milliers d’Autochtones et de non-Autochtones vivant dans des collectivités éloignées, rurales et urbaines de toute la Saskatchewan.
Depuis des décennies, je fais la promotion de l’éducation des Autochtones, notamment des adolescents et des jeunes adultes, et j’encourage la création d’entreprises autochtones pour engendrer de la richesse et de l’espoir. J’espère que la présente interpellation permettra de faire changer le discours, de mettre fin aux stéréotypes et d’encourager encore plus de jeunes Autochtones à explorer les possibilités commerciales qui s’offrent à eux. J’espère également que nous mettrons en lumière les formidables réussites dont nous sommes témoins d’un bout à l’autre du Canada, que nous élargirons nos connaissances en nous penchant sur les défis et les caractéristiques uniques associées au lancement et à l’exploitation d’une entreprise autochtone, et que nous serons témoins du renforcement de la capacité de créer de la richesse et d’assurer l’indépendance des générations à venir.
À titre de sénateurs, nous sommes on ne peut mieux placés pour faire part de ces réussites puisque nous disposons d’une tribune nationale. Cet enjeu n’a rien à voir avec les lignes partisanes ou idéologiques. Nous tous autant que nous sommes dans cette enceinte devrions souhaiter que les entrepreneurs autochtones remportent du succès, dans l’intérêt de l’ensemble de la société canadienne.
Évidemment, une plus grande prospérité économique pour les Autochtones signifie également une plus grande prospérité pour l’ensemble de la population. Selon un récent rapport de la RBC, si les travailleurs autochtones étaient habilités à participer à l’économie au même titre que les travailleurs non autochtones, une telle inclusion rapporterait 67 milliards de dollars additionnels au PIB du Canada. Les Canadiens ne peuvent se permettre de rater une telle occasion. Je suis emballé de constater la croissance de la représentation autochtone lors de conférences et de sommets économiques, notamment lors du récent Sommet des leaders nord-américains.
Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, des progrès ont été accomplis. Le Treaty Land Sharing Network est un autre exemple d’innovation réalisée en Saskatchewan. Fondé à la suite du décès de Colten Boushie, ce réseau a été créé pour permettre aux agriculteurs et aux propriétaires fonciers ruraux de se rapprocher des Premières Nations et des Métis.
Les membres du réseau installent des panneaux sur leurs terres afin d’informer les occupants traditionnels de celles-ci qu’ils peuvent s’y réunir, y chasser, y organiser des cérémonies, et y exercer leurs droits issus de traités en lieu sûr. Ce réseau a non seulement contribué à créer un lieu sûr, mais il a également donné naissance à de nouvelles amitiés, favorisé le transfert de connaissances, et suscité un sentiment d’appartenance renouvelé à la communauté. C’est une importante initiative qui illustre que la collaboration est source de prospérité mutuelle.
Chers collègues, la réconciliation économique est parfois éclipsée par le débat plus large sur la reconnaissance des droits et la réparation des injustices du passé. C’est quelque chose que nous devons changer. Le Canada doit donner aux Autochtones les moyens d’assumer l’entière responsabilité de leur potentiel économique si nous voulons progresser vers un avenir plus équitable. Nous devons en faire davantage pour encourager les entreprises détenues et exploitées par des Autochtones au Canada, et pour favoriser leur développement économique dans le cadre de l’autodétermination. Les résultats sont probants. Il suffit de regarder ce qui se passe dans la Première Nation dakota de Whitecap, dans la bande indienne d’Osoyoos, ou la Première Nation de Membertou. Je sais que la sénatrice Busson aura autre chose à ajouter au sujet de la bande d’Osoyoos.
Honorables sénateurs, j’espère que cette interpellation permettra de mettre en lumière certains des meilleurs exemples de la réussite économique d’Autochtones. Nous pouvons offrir une tribune et donner une voix aux chefs de file autochtones du milieu des affaires et aux entrepreneurs autochtones de demain. La réconciliation économique est avantageuse pour tout le monde. Pendant trop longtemps, des barrières sociales et économiques qui n’auraient jamais dû exister ont divisé ce pays. Chacun mérite une chance équitable de participer à la création de richesse et de contribuer à la prospérité de sa collectivité.
J’espère que vous vous joindrez à moi dans cette démarche et j’espère que vous envisagerez tous d’appuyer cette interpellation et d’y participer.
Si vous souhaitez dresser le portrait des réussites d’entreprises autochtones dans votre région, communiquez avec mon bureau; nous serons ravis de vous aider.
Merci. Hiy kitatamîhin.