Depuis des décennies, les femmes des Premières Nations se battent pour prouver leur identité au Canada.
En raison des dispositions sexistes et discriminatoires de la Loi sur les Indiens, des générations de femmes des Premières Nations et leurs enfants ont perdu le statut d’Indien (c’est-à-dire le statut juridique d’une personne inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens, une loi fédérale adoptée en 1876 et conçue pour assimiler et finalement éliminer les Premières Nations). En plus de miner leur sentiment d’identité, d’appartenance et de solidarité, la perte du statut signifie que ces femmes ne peuvent pas bénéficier d’une foule de programmes et de services fédéraux et provinciaux, qu’elles n’ont pas le droit de voter aux élections du conseil de bande et, dans bien des cas, qu’elles sont exclues de leur propre communauté.
Les communautés des Premières Nations et les groupes de défense des Autochtones ont fourni une feuille de route pour mettre fin à la discrimination sexiste dans la Loi sur les Indiens. Au lieu de s’en servir, le gouvernement fédéral a bricolé des solutions rapides qui n’ont fait qu’empirer la situation. Si le gouvernement n’agit pas immédiatement, les Premières Nations ayant le statut d’Indien pourraient disparaître, privant ainsi les générations futures de tous les droits et privilèges conférés par ce statut juridique.
Le Comité sénatorial des peuples autochtones a récemment publié les résultats d’un examen des efforts anémiques déployés par le gouvernement fédéral pour chercher à mettre fin à la discrimination sexiste dans la Loi sur les Indiens, notamment dans le cadre de modifications apportées en 1985, en 2010 et en 2017. Le comité a constaté que ces modifications n’ont fait que compliquer le processus d’inscription et créer deux classes inégales d’Indiens inscrits.
Avant 1985, une femme des Premières Nations qui épousait un homme non autochtone perdait son statut. Par contre, si un homme ayant le statut d’Indien épousait une non-autochtone, celle-ci obtenait le statut d’indien. Dans le but de résoudre cette inégalité flagrante, le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur les Indiens en 1985 afin de rétablir le statut des femmes qui l’avaient perdu par mariage.
Or, cette modification a également créé deux niveaux de statut pour les Premières Nations : ceux dont un seul parent a le statut et ceux dont les deux parents ont le statut. Les enfants de la première catégorie sont désavantagés, car ils ne peuvent pas transmettre le statut à la génération suivante. C’est ce qu’on appelle l’exclusion de la deuxième génération.
Nombreux sont ceux qui ont sonné l’alarme au sujet de ce système à deux vitesses pour les Indiens inscrits.
Pamela Palmater, titulaire de la chaire sur la gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto, a déclaré que tous les membres des Premières Nations du pays ont une « date d’extinction de leur statut prévue par la loi » que l’on peut calculer en fonction de leur date de naissance et de décès et de la disposition sur l’exclusion de la deuxième génération dans la Loi sur les Indiens.
Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 soulignait également que le nombre d’Indiens inscrits « connaîtra vraisemblablement une chute draconienne », et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de l’ONU a déclaré que la disposition d’exclusion de la deuxième génération était discriminatoire.
Comme si le système à deux vitesses n’était pas assez compliqué, le gouvernement fédéral a obscurci le processus d’inscription au registre des Indiens en 2017 en adoptant le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général).
À l’époque, le gouvernement s’était vanté que cette modification permettrait à des « centaines de milliers, voire des millions » de nouvelles personnes de s’inscrire pour obtenir un statut. Or, notre comité a appris qu’à peine plus de 28 000 nouvelles personnes s’étaient inscrites en date d’avril 2022.
Ce faible taux d’inscription est dû à un certain nombre de facteurs, notamment un arriéré massif. Il soulève également de sérieuses inquiétudes quant à la capacité de Services aux Autochtones Canada de mettre en œuvre efficacement le projet de loi S-3. Il se peut également que les nouvelles dispositions relatives à l’inscription au registre dans la Loi sur les Indiens soient si obscures et opaques que de nombreux membres des Premières Nations ne savent pas qu’ils sont désormais admissibles au statut.
Ces modifications à la Loi sur les Indiens sont étroites, techniques et ne s’attaquent pas au cœur des problèmes de discrimination sexiste actuels. Il est également décevant de constater que le gouvernement fédéral n’a adopté ces modifications qu’en réponse à des décisions judiciaires au lieu d’adopter une approche vaste et globale pour remédier à plus de 150 ans de discrimination.
Le gouvernement fédéral a déclaré qu’il modifierait à nouveau la Loi sur les Indiens pour régler ces problèmes. Cependant, pour véritablement assurer l’égalité des femmes des Premières Nations et de leurs descendants, le gouvernement fédéral doit abroger la disposition d’exclusion de la deuxième génération et réformer le processus d’inscription.
Les femmes des Premières Nations et leurs enfants méritent également des excuses officielles et un dédommagement pour les préjudices qu’ils ont subis en raison des dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription.
Ce sont les Premières Nations qui devraient décider qui a le statut d’Indien, et non le gouvernement fédéral. Il est temps que le Canada mette enfin fin à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens afin que toutes les femmes des Premières Nations et leurs enfants puissent à nouveau être accueillis dans leur communauté et avoir accès aux droits et aux avantages qu’ils méritent.
La sénatrice Sandra Lovelace Nicholas représente le Nouveau-Brunswick au Sénat. Malécite de la Première nation de Tobique au Nouveau-Brunswick, elle a aussi participé activement à la campagne en faveur de la loi de 1985 qui visait à rétablir les droits des femmes autochtones et ceux de leurs enfants. Elle a pris sa retraite du Sénat le 31 janvier 2023.
Le sénateur Brian Francis représente l’Île-du-Prince-Édouard au Sénat. Il est le premier sénateur mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard et il est président du Comité sénatorial des peuples autochtones.
Cet article a été publié le 15 juillet 2022 dans la Charlottetown Guardian (en anglais seulement)