Recours au Règlement—Motion de fixation de délai

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je suis le quatrième ou peut-être le cinquième à prendre la parole, mais je promets d’être celui qui sera le plus bref.

Je comprends que le point soulevé par le sénateur Plett concerne son droit à une certaine négociation avec le sénateur Gold avant que ce dernier puisse présenter une motion aux termes de l’article 7-2(1) et il a le droit de vous demander de vérifier si ce droit a été respecté. En tout respect, je ne suis pas d’accord avec cette interprétation et j’expliquerai brièvement pourquoi en fondant ma réponse sur le Règlement et sur les décisions antérieures du Président Molgat dont la sénatrice Saint-Germain et le sénateur Plett ont parlé.

Le chapitre 7 du Règlement du Sénat, qui porte sur la fixation d’un délai, précise que seuls « le leader ou le leader adjoint du gouvernement » peuvent présenter une motion de fixation de délai. Le chapitre 7 prévoit deux cas de figure : soit le leader ou le leader adjoint du gouvernement présente une motion avec l’accord des représentants des partis ou groupes reconnus, soit il le fait sans avoir l’accord de ces derniers. Il n’est inscrit nulle part dans le Règlement que le leader du gouvernement a l’obligation de tenter d’arriver à un accord avec les représentants des autres groupes quant au délai à fixer avant de présenter une motion sans accord.

Le représentant du gouvernement peut toujours décider de présenter la motion sans accord s’il est d’avis qu’il serait impossible d’arriver à un accord, mais ce choix a une conséquence. Il peut s’ensuivre un débat de deux heures et demie, alors que si la motion est proposée à la suite d’un accord, la question doit être mise aux voix immédiatement sans débat ni amendement, comme le prévoit l’article 7-1(3).

Lorsque le représentant du gouvernement au Sénat choisit de procéder sans accord, la question est simple du point de vue de la procédure, étant donné qu’il s’agit d’une déclaration de désaccord et non d’une invitation à mener une enquête factuelle sur la probabilité d’un accord, ce qui supposerait vraisemblablement de divulguer des discussions confidentielles.

Votre Honneur, pour faire une telle affirmation, je me fonde sur la décision qu’a rendu l’un de vos prédécesseurs, le Président Molgat, le 20 septembre 2000, concernant le recours au Règlement auquel le sénateur Plett et la sénatrice Saint-Germain ont fait référence. Cependant, je vais la relire, car je ne crois pas que son sens correspond à l’interprétation qu’en fait le sénateur Plett :

En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Kinsella, je voudrais que vous vous reportiez au paragraphe 39(1), qui prévoit simplement que, si « […] le leader adjoint du gouvernement au Sénat, de sa place au Sénat, peut déclarer que les représentants des partis n’ont pas réussi à s’entendre pour attribuer un nombre précis de jours et d’heures[…] », cela autorise le leader adjoint à donner avis.

Honorables sénateurs, le leader adjoint a déclaré que les représentants n’avaient pu s’entendre. Il m’est impossible de savoir s’ils y parviendront plus tard. Tout ce que j’ai devant moi, c’est une motion stipulant que, s’ils ne se sont pas entendus à l’heure actuelle, le Règlement a été observé et les conditions ont été fixées. Par conséquent, je déclare irrecevable le recours au Règlement.

La validité de cette décision est confirmée par le texte français de notre article 7-2(1).

Cet article dit que le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut « annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord ». C’est un simple constat de faits. Les partis n’ont pu se mettre d’accord.

Autrement, Votre Honneur, en supposant que le Règlement vous oblige à enquêter sur la possibilité d’une entente sur la fixation de délai — et je ne crois pas qu’il le fasse —, permettez-moi d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire de tenter une telle démarche préalable lorsqu’une entente semble impossible. En droit, il existe un principe bien connu : « À l’impossible, nul n’est tenu. »

Dans le cas qui nous occupe, le sénateur Gold, représentant du gouvernement, que le groupe conservateur appelle toujours « leader du gouvernement », a décidé de présenter une motion de fixation de délai sans l’accord du représentant du groupe conservateur, étant d’avis qu’un tel accord est impossible. Cette conclusion est tellement raisonnable qu’elle ne peut être contestée — du moins pas sérieusement. Le groupe conservateur avait proposé un amendement, et quelques minutes plus tard, un amendement à cet amendement, afin d’imposer deux débats distincts supplémentaires en plus du débat sur la motion du sénateur Gold en réponse au message de la Chambre des communes. En outre, plusieurs votes pour ajourner le débat, y compris une sonnerie d’une heure chaque fois au lieu d’une sonnerie plus courte, nous ont été imposés.

Autrement dit, les sénateurs du groupe conservateur ont clairement démontré qu’ils souhaitent prolonger le débat le plus longtemps possible et que, à leur avis, aucune limite de temps n’est acceptable. Dans un tel contexte, Votre Honneur, il est clair à mes yeux que le représentant du gouvernement, le sénateur Gold, peut déclarer sans hésitation que le représentant du groupe conservateur au Sénat a démontré qu’un accord de fixation de délais est inacceptable aux yeux de son groupe et qu’en conséquence aucun accord n’est possible.

Sinon, la seule autre conclusion possible serait que le sénateur Plett prenne la parole aujourd’hui et déclare qu’il accepte la motion visant à consacrer six heures de débat au message de l’autre endroit. Ensuite, si les représentants des autres groupes y consentent également, la question de fixation de délais devrait être mise aux voix, sans débat ni amendement, comme le stipule l’article 7-1(3).

Manifestement, toutefois, ce n’est pas ce que les sénateurs conservateurs demandent.

Pour conclure, je vais parler de la tentative d’établir une distinction entre le bureau du leader du gouvernement et le bureau du représentant du gouvernement au Sénat. On a beaucoup parlé de l’annexe de notre Règlement. C’est intéressant, mais commençons par les principes fondamentaux du droit. En premier lieu, il y a la Constitution, à laquelle on ne peut déroger. En second lieu, il y a les lois adoptées par le Parlement, auxquelles on ne peut déroger. Il faut lire notre Règlement en fonction des lois qui s’appliquent à nous et de la loi ultime, soit la Constitution.

La Loi sur le Parlement du Canada, telle que modifiée en 2022, prévoit, au paragraphe 62.4(1) :

Malgré l’article 62.3, les personnes ci-après reçoivent, à compter du 1er juillet 2022, les indemnités annuelles supplémentaires suivantes :

a) le sénateur occupant le poste de leader ou représentant du gouvernement au Sénat, sauf s’il reçoit un traitement prévu par la Loi sur les traitements, 90 500 $ […]

Votre Honneur, il est intéressant de lire cette loi. Le premier responsable nommé dans cette disposition, c’est-à-dire à l’alinéa a), est « le sénateur occupant le poste de leader ou représentant du gouvernement au Sénat ». En ce qui concerne le Parlement, ces deux titres désignent le titulaire du même poste. Ils sont traités au même endroit dans la Loi sur le Parlement du Canada et sont assortis du même salaire. Pourquoi? Parce que le titulaire, qu’il soit leader ou représentant du gouvernement, exerce les mêmes fonctions. Pour moi, c’est si évident que je n’ai même pas besoin de citer la décision de la Cour suprême dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., qui dit que si une interprétation soulevée mène à une conclusion absurde, la cour ne peut retenir cette interprétation.

C’est exactement ce qu’on nous demande de faire aujourd’hui.

Je ne suis pas d’accord, et je dirais que cela ne fera pas long feu devant les tribunaux. Puisque nous parlons d’une loi du Parlement, Votre Honneur, je vous dirai que vous vous trouvez dans la même position qu’un juge : vous devez interpréter de manière juste et raisonnable cette mesure législative. Ce qui a été proposé est tout absolument déraisonnable.

Si ça marche comme un canard et que ça cancane comme un canard, c’est un canard.

Voilà ce qui nous est soumis, Votre Honneur. Ce rappel au Règlement va à l’encontre de toutes les interprétations du Règlement, et ne peut pas être accepté.

Merci beaucoup, Votre Honneur. Merci. Meegwetch.

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