Deuxième lecture du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime)

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L’honorable Pierre J. Dalphond propose que le projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, j’ai l’honneur aujourd’hui d’amorcer la deuxième lecture du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime).

Ce projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 7 février 2022 par Mme Anju Dhillon, députée de Dorval—Lachine—LaSalle et avocate en droit familial et pénal, en collaboration avec Mme Pam Damoff, députée d’Oakville-Nord—Burlington et secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique, et Mme Ya’ara Saks, députée de York-Centre et secrétaire parlementaire de la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social.

Il a été légèrement modifié par le Comité permanent de la condition féminine, puis adopté par le vote unanime de 326 députés le 1er juin dernier. Malheureusement, ce projet de loi est arrivé au Sénat alors que nos travaux étaient consacrés exclusivement à des projets de loi émanant du gouvernement.

Même s’il ne contient que quatre articles, dont un article sur l’entrée en vigueur de la loi, le projet de loi C-233 propose deux mesures qui devraient contribuer à réduire les manifestations de violence à l’égard des femmes qui souhaitent mettre fin à une relation toxique, y compris le féminicide.

Premièrement, le projet de loi C-233 propose de modifier le Code criminel à l’égard d’un prévenu inculpé d’une infraction contre son partenaire intime. Avant de rendre une ordonnance de mise en liberté, un juge devrait considérer s’il est souhaitable pour la sécurité de toute personne d’imposer au prévenu, comme condition dans l’ordonnance, de porter un dispositif de surveillance à distance.

Deuxièmement, le projet de loi C-233 propose de modifier la Loi sur les juges afin de signaler au Conseil canadien de la magistrature l’importance de tenir des colloques sur des questions liées à la violence entre partenaires intimes et au contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes et les relations familiales en vue de la formation continue des juges.

Je vais commencer par les deux modifications proposées à la Loi sur les juges.

Ceux d’entre vous qui étaient ici en 2017, 2018 et 2019 se souviendront des tentatives infructueuses faites au Sénat pour en arriver à un vote final au sujet du projet de loi C-337 présenté par l’ancienne cheffe du Parti conservateur, l’honorable Rona Ambrose. Ce projet de loi visait à améliorer les connaissances des juges sur les questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social en invitant le Conseil canadien de la magistrature à créer des séminaires sur ces sujets.

En septembre 2020, le gouvernement a présenté un projet de loi, le C-3, visant le même objectif et incluant le contexte social, le racisme systémique et la discrimination systémique. Ce projet de loi a été adopté par le Sénat et est entré en vigueur le 6 mai 2021.

Le projet de loi C-233 propose que le Conseil canadien de la magistrature soit invité à offrir des colloques aux juges sur les sujets suivants : la violence entre partenaires intimes et le contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes et les relations familiales.

Ainsi, l’alinéa 60(2)b) de la Loi sur les juges se lirait ainsi : « Dans le cadre de sa mission, le Conseil a le pouvoir : »

[…] d’organiser des colloques portant notamment sur des questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles, à la violence entre partenaires intimes, au contrôle coercitif dans les relations entre partenaires intimes et dans les relations familiales et au contexte social, lequel comprend le racisme et la discrimination systémiques, en vue de la formation continue des juges […]

Grâce à ce changement proposé, le Parlement fera savoir au Conseil canadien de la magistrature et aux juges à quel point notre société se préoccupe de la violence entre partenaires intimes et du contrôle coercitif.

Plus particulièrement, le Parlement soulignerait la nécessité d’empêcher que tous les membres de la famille ne deviennent victimes du contrôle coercitif du père. En outre, le Parlement invitera le Conseil canadien de la magistrature à fournir de l’information sur ses rapports annuels à propos des colloques offerts à tous ses membres, conformément à l’alinéa 60(2)b), que je viens de lire.

Cette partie du projet de loi C-233 est désignée sous le nom de « loi de Keira », à la mémoire de Keira Kagan, une fillette de 4 ans de Milton, en Ontario, qui a été tuée par son père violent en février 2020. Ce drame était vraisemblablement un meurtre-suicide.

Malgré des allégations graves formulées par la mère sur le caractère violent de son mari, la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait accordé des droits de visite à ce dernier. En réalité, les juges à qui il revenait en 2018 et 2019 de décider d’accorder des droits d’accès à cet individu avaient présumé que la violence d’un mari contre son épouse ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas être un bon père. Par conséquent, il ne fallait pas lui interdire des droits d’accès pour voir leur fille, Keira.

Depuis ce drame, la mère de Keira, la Dre Jennifer Kagan-Viater, et son époux, Philip Viater, un avocat en droit de la famille, travaillent sans relâche pour éviter que d’autres familles ne vivent le drame de perdre un enfant aux mains d’un parent violent. Ils demandent entre autres à ce que les intervenants, y compris les juges, dans les dossiers du droit de la famille soient mieux formés sur l’importance de tenir compte des indices de violence avant de prendre une décision sur les questions de garde et de droit d’accès.

Les éléments qu’on propose d’ajouter à la Loi sur les juges encourageront le Conseil canadien de la magistrature à poursuivre, voire à intensifier, les efforts qu’il déploie afin de former les juges à propos de la violence entre partenaires intimes et du contrôle coercitif dans les relations.

Au cours des deux dernières années, le Conseil canadien de la magistrature a autorisé bon nombre de conférences, de séminaires et d’outils à l’intention des juges, tous fournis par l’Institut national de la magistrature. Ces initiatives sont financées au moyen de fonds publics. Le budget annuel du conseil, qui dépasse les 30 millions de dollars, comprend plus de 6 millions de dollars pour la formation des juges et les outils à leur intention.

Vous vous rappellerez peut-être que, dans le budget de 2019, le Parlement a autorisé le gouvernement à augmenter de 5 millions de dollars la somme consacrée à la formation des juges pour les 10 années suivantes.

Voici un aperçu des programmes offerts.

Il y a notamment un cours obligatoire de 10 jours pour les nouveaux juges, qui vise à leur fournir des connaissances, des compétences et une compréhension de divers contextes sociaux, autant d’éléments qui leur seront essentiels pour bien s’acquitter de leurs nouvelles fonctions. Ce cours porte entre autres sur les procès pour agression sexuelle ainsi que sur les mythes et les stéréotypes qui peuvent se révéler dans ce contexte. La formation porte aussi sur l’importance de tenir compte de la violence dans les affaires de droit de la famille.

Quant aux juges en exercice, ils doivent suivre deux cours intitulés Vos cinq premières années en tant que juge : droit criminel. L’un porte sur le droit pénal et l’autre sur le droit de la famille. En outre, dans le cadre de leur plan de formation continue, les juges en exercice sont invités à participer à des conférences et des séminaires nationaux sur le droit de la famille, le droit pénal, l’accès à la justice pour les enfants, les procès par jury, la violence sexiste et d’autres sujets similaires.

En outre, les cours d’appel et les tribunaux supérieurs organisent des conférences générales annuelles où l’on offre des formations. Depuis janvier 2018, 50 programmes de formation en direct ont été proposés lors de ces conférences annuelles, traitant en tout ou en partie de questions liées à la violence entre partenaires intimes, à la violence domestique ou familiale, aux procès pour agression sexuelle et aux contextes sociaux.

Des ressources numériques sont également mises à la disposition des juges sur les agressions sexuelles, les questions relatives aux populations autochtones, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale, les preuves, le droit de la famille et les instructions au jury.

Comme il a été dit précédemment dans cette enceinte, des études ont montré que la violence à l’égard d’un parent nuit aux enfants de la famille. En effet, un mari violent ne peut être un père capable d’agir dans l’intérêt supérieur des enfants.

C’est pourquoi le Parlement a adopté des modifications substantielles à la Loi sur le divorce en 2019. Ces modifications visaient à définir les actes violents et à obliger toutes les personnes impliquées dans des procédures de divorce, y compris les avocats, les travailleurs sociaux, les psychologues et les juges, à tenir compte de ces actes dans les rapports, les accords et les décisions se rapportant au partage du temps et des responsabilités parentales.

L’objectif ultime de ces modifications est de protéger l’ex-conjoint et les enfants contre toute nouvelle violence après la séparation, en particulier de la part des maris qui ont exercé un contrôle coercitif sur leur épouse. Des études montrent que, malgré la séparation, ces maris ont souvent recours à des actes violents pour tenter d’exercer de nouveau un contrôle coercitif, y compris le harcèlement, les menaces, les agressions et même le meurtre.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi réformée sur le divorce le 1er mars 2021, on assiste à un virage dans la jurisprudence. De plus en plus de jugements des tribunaux d’instance et d’appel et de la Cour suprême du Canada soulignent l’importance de considérer les manifestations de violence familiale, de présumer que celles-ci sont contraires aux meilleurs intérêts de tout enfant et de mettre en place des mesures qui n’exposent plus les enfants ou l’ex-conjointe à de la violence.

Le 20 mai dernier, dans l’arrêt Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, la Cour suprême du Canada a déclaré ceci, et je cite :

Les modifications récentes à la Loi sur le divorce reconnaissent que les conclusions de violence familiale sont des considérations cruciales dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant : al. 16(3)j) et par. 16(4). La Loi sur le divorce définit la violence familiale dans les grandes lignes au par. 2(1) en énonçant qu’il s’agit de toute conduite violente ou menaçante, allant de l’abus physique aux mauvais traitements psychologiques et à l’exploitation financière. Les tribunaux doivent tenir compte de la violence familiale et de ses effets sur la capacité et la volonté de toute personne auteure de violence familiale de prendre soin de l’enfant et de satisfaire à ses besoins.

Voilà un message clair et non équivoque de la Cour suprême à tous les juges et membres du système judiciaire et des barreaux.

Je pourrais aussi vous citer de nombreux jugements qui ont été rendus par des juges des cours provinciales en matière criminelle, des juges des cours supérieures en matière familiale et les cours d’appel du pays qui confirment que les tribunaux canadiens prennent désormais très au sérieux la violence familiale et la violence envers un partenaire intime.

À mon avis, ce changement d’attitude résulte de plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, il y a les amendements que je viens de mentionner à la Loi sur le divorce et les amendements au Code criminel relatifs à la violence contre les partenaires intimes, la place que l’on accorde dans les médias et dans la société à la question de la violence conjugale et l’augmentation des connaissances au sein du système de justice sur les conséquences graves associées à la violence conjugale et familiale. Il faut continuer d’encourager cette prise de conscience par les tribunaux, notamment au moyen de la formation des juges et des avocats.

Je passe maintenant aux amendements au Code criminel.

Le projet de loi C-233 propose de modifier l’article 515 du Code criminel, qui traite de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, ou ordonnance de mise en liberté sous caution.

Lorsqu’une personne est arrêtée et inculpée, le principe veut que l’accusé soit libéré sans conditions en attendant la fin du processus judiciaire, sauf si la Couronne démontre que la détention de l’accusé est justifiée ou que l’ordonnance de libération doit être assortie de conditions.

Il existe cependant quelques exceptions à cette règle. Par exemple, à la suite de l’adoption du projet de loi C-75, en 2019, lorsque l’accusé a déjà été reconnu coupable d’une infraction violente contre un partenaire intime, il lui incombe de démontrer que sa libération peut être encadrée de manière à ne pas porter atteinte à la sécurité de la victime présumée. Le projet de loi C-233 propose d’ajouter que lorsque la personne est accusée d’une infraction violente contre un partenaire intime, le juge, à la demande du procureur général de la province, peut imposer comme condition de libération que l’accusé porte un dispositif de surveillance électronique.

Dans le monde numérique et connecté dans lequel nous vivons, il existe deux types d’appareils. Il peut s’agir d’un bracelet, porté par un accusé et relié par radiofréquence à une ligne téléphonique de son lieu de résidence afin d’indiquer en temps réel que la personne se trouve toujours à son lieu de résidence. Par exemple, si une personne condamnée a été libérée à condition de rester en permanence à son domicile, un tel dispositif permet d’assurer le respect de cette condition ou, du moins, de prouver qu’elle n’a pas été respectée.

Un deuxième type de dispositif permet de géolocaliser une personne en tout temps. Dans un cas de violence conjugale, l’utilisation de ce dispositif pourrait être ordonnée si l’ordonnance de mise en liberté s’accompagne de l’obligation pour le délinquant de rester à une certaine distance de la maison ou du lieu de travail de la victime. Toute violation de l’ordonnance pourrait être automatiquement signalée à un centre de surveillance, qui pourrait alors alerter la victime et demander aux policiers d’intervenir. Un système plus perfectionné permet de fournir à la victime un autre dispositif, qui l’avertira automatiquement si l’accusé se trouve à une certaine distance d’elle.

Selon les dispositions actuelles du Code criminel, un juge pourrait ordonner à l’accusé de porter un bracelet électronique comme condition de sa remise en liberté, si cette option est disponible au lieu de résidence de l’accusé. Cette condition est souvent offerte par l’accusé pour montrer sa volonté de respecter les conditions de sa remise en liberté et d’en assumer les coûts.

L’un des principaux fournisseurs s’appelle Recovery Science Corporation, à Bradford, en Ontario. Selon son site Web, depuis 2010, plus de 800 personnes à l’échelle du Canada ont obtenu une mise en liberté provisoire lorsqu’elles ont inclus son programme de GPS à leur plan de surveillance. L’entreprise conclut ensuite avec chaque participant une entente qui comprend une renonciation totale à la confidentialité lui permettant de signaler les infractions et de communiquer les données de surveillance à la police, ainsi que le paiement d’une somme de plus de 600 dollars par mois pour le service.

D’ailleurs, dans une affaire devant la Cour supérieure du Québec en novembre 2021, cette entreprise a reconnu qu’avec une bonne paire de ciseaux, il était possible de couper le bracelet, et que cela s’était produit environ 130 fois jusqu’à présent, ce qui représente environ 15 % des cas.

Il convient également de souligner qu’à l’heure actuelle, le port d’un bracelet peut être ordonné conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, afin de surveiller le respect de conditions comme la détention à domicile, le respect du couvre-feu ou l’interdiction de quitter un certain secteur. Le projet de loi C-233 propose d’indiquer clairement à la Couronne, à l’accusé, à la victime et à la magistrature qu’une telle condition dans une ordonnance de cautionnement devrait être considérée comme un moyen non seulement de dissuader le non-respect des conditions, mais aussi de protéger la victime présumée dans les affaires de violence familiale et de violence entre partenaires intimes, en attendant les procédures pénales.

La marraine du projet de loi à l’autre endroit a choisi de mettre l’accent sur les ordonnances de cautionnement parce que c’est au cours des 18 premiers mois après la séparation que bon nombre de femmes ou d’enfants sont tués. Les statistiques révèlent que la période après la séparation est un moment où les victimes de conjoints violents courent des risques accrus. L’adoption de ce projet de loi n’empêchera évidemment pas le Parlement de prévoir des dispositifs de surveillance dans d’autres circonstances, comme celles qui sont envisagées dans le projet de loi S-205 présenté par le sénateur Boisvenu.

Dans tous les cas, il doit être clair que le recours à des dispositifs de surveillance à distance dépend de l’existence d’infrastructures adéquates en vue d’en assurer la fiabilité, une surveillance constante et une intervention rapide en cas de déclenchement, y compris de la part de la police. Autrement, les victimes pourraient éprouver un faux sentiment de sécurité. C’est pourquoi on propose qu’un juge puisse imposer une ordonnance de cautionnement seulement à la demande du procureur général de la province. Espérons que cela pousserait les gouvernements provinciaux à mettre en place les infrastructures requises pour de tels systèmes de surveillance.

À ce titre, je tiens à souligner les importantes initiatives prises par le Québec, mon coin de pays, afin de mettre en place un système de bracelet antirapprochement. Le gouvernement du Québec donne ainsi suite à la recommandation 84 d’un rapport déposé le 15 décembre 2020 par le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violences conjugales, intitulé Rebâtir la confiance. La recommandation 84 se lit comme suit :

Considérer le port du bracelet électronique parmi les mesures qui contribuent à la protection des victimes dans les situations appropriées.

Ce comité a aussi recommandé que les victimes puissent bénéficier gratuitement d’outils d’intervention rapide, tel le Téléphone grave danger, et a encouragé l’utilisation d’autres moyens technologiques susceptibles d’améliorer la sécurité des victimes, le tout devant être sans frais pour celles-ci.

En réponse à ce rapport, le Québec a adopté diverses mesures. L’une d’elles est l’adoption du projet de loi no 24 par l’Assemblée nationale le printemps dernier. Ce projet de loi modifie la Loi sur le système correctionnel du Québec et autorise le directeur d’une prison provinciale ou la Commission québécoise des libérations conditionnelles, selon la durée de la peine de moins de deux ans à purger, à imposer à un contrevenant en matière de violence contre une conjointe, comme condition de remise en liberté, le port d’un dispositif antirapprochement permettant de le localiser en tout temps.

Bien entendu, pour qu’un bracelet antirapprochement remplisse pleinement sa fonction, il faut connaître aussi en tout temps la position de la victime. Par conséquent, cette condition de remise en liberté ne peut être imposée qu’avec le consentement de la victime. À cette dernière, les services correctionnels du Québec fournissent sans frais l’équipement nécessaire, tel l’ajout d’un logiciel sur son téléphone cellulaire qui lui indique quand le contrevenant se trouve à une certaine distance d’elle. La fourniture d’un tel bracelet est aussi possible si le juge, dans le cadre d’une requête sur remise en liberté, l’a ordonné à l’accusé.

Un budget de 41 millions de dollars sur cinq ans a été consacré à la mise en place de ce système. Ce budget inclut la formation des intervenants en matière d’évaluation des conjoints violents, le coût des équipements et la surveillance du système. En passant, cette surveillance en continu des bracelets antirapprochement a été confiée à une société de sécurité sans but lucratif, les Commissionnaires du Québec, où travaillent notamment d’anciens membres des forces armées et de la GRC.

Le 20 mai dernier, le gouvernement du Québec a annoncé le lancement d’un projet pilote dans la ville de Québec. Celui-ci sera suivi d’un déploiement progressif au Québec, avec la participation cet automne de quatre régions, suivies au printemps de huit autres régions et, finalement, à l’automne 2023, du reste du Québec.

Le ministère de la Sécurité publique du Québec estime que 500 bracelets antirapprochement devraient répondre à la demande lorsque le programme sera mise en œuvre dans l’ensemble de la province. À ce jour, trois bracelets ont été ordonnés dans le cadre du projet pilote.

Cette initiative s’ajoute à d’autres qui ont été adoptées au Québec, notamment la création de tribunaux spécialisés en matière d’agression sexuelle et de violence conjugale, l’attribution d’une aide financière à 11 corps de police municipaux pour ajouter des effectifs spécialisés en matière de lutte contre la violence conjugale et les féminicides et la fourniture d’un financement pour des services de traitement des agresseurs.

Je rappelle qu’au Québec, 26 femmes ont été victimes de meurtre en 2021, la majorité dans un contexte de violence conjugale.

Le bracelet antirapprochement est donc un outil intéressant. Espérons que, en fonction de l’expérience québécoise, la Commission des libérations conditionnelles du Canada considérera d’imposer le port du bracelet antirapprochement aux contrevenants en matière de violence entre partenaires intimes, tout en se rappelant que l’efficacité de ce dispositif requiert non seulement le consentement de la victime, mais un système adéquat de supervision.

Cela dit, il m’apparaît important de souligner que, pour contrer la violence entre partenaires intimes, il faut une stratégie complète, comme l’a montré l’expérience espagnole depuis l’adoption en 2004 d’une loi encadrant la violence entre partenaires intimes et intégrant une approche centrée sur la victime, qui est souvent une femme — comme ici, au Canada —, soit dans environ 80 % des cas.

Cinq particularités du système espagnol doivent être soulignées : des tribunaux spécialisés; des policiers formés sur ces questions; une campagne efficace de sensibilisation du public à la violence conjugale — un sondage a indiqué que 8 femmes espagnoles sur 10 étaient au courant de ces programmes; une plateforme de renseignements appelée VioGén, alimentée par les policiers et les diverses institutions qui prennent en charge les femmes violentées; un centre opérationnel de mesures télématiques à distance, rattaché au ministère espagnol de la Santé, des Services sociaux et de l’Égalité, chargé de la surveillance des bracelets en cours d’utilisation 24 heures sur 24.

L’utilisation des bracelets de surveillance dans le cadre des ordonnances de protection a augmenté de 800 % entre 2009 et 2018, passant de 166 à 970, ce qui représente 5,6 % des ordonnances rendues en matière de violence en Espagne. L’Espagne est, de fait, un chef de file pour ce qui est du nombre de bracelets par habitant dans les pays démocratiques.

Ces mesures semblent donner des résultats. En effet, depuis la loi de 2004, le nombre de féminicides a baissé de 25 % en Espagne.

Selon des chercheurs et bon nombre d’articles universitaires, les violations documentées de ces ordonnances sont très rares.

Une partie des recherches indique également que certaines victimes de violence familiale sont réfractaires à l’usage de la surveillance électronique parce que cela leur fait trop penser à ce qu’elles vivaient avec leur partenaire contrôlant. Elles se sentaient surveillées en tout temps. Cependant, selon la police espagnole, le sentiment de sécurité et de confiance dans le système a augmenté avec le temps. Il semblerait que de plus en plus de victimes sont satisfaites du système et que le nombre de fausses alertes diminue.

Plusieurs pays ont suivi l’exemple de l’Espagne, notamment le Portugal, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, Porto Rico, le Mexique, le Chili et le Japon.

Le port du bracelet de surveillance a été implanté en France en 2019. À cet effet, le gouvernement français a annoncé une capacité opérationnelle de 1 000 unités sur l’ensemble du territoire. Au 1er avril 2022, les magistrats français avaient imposé le port de 995 bracelets.

Dans ce pays, l’imposition du bracelet électronique, aussi appelé « placement sous surveillance électronique », peut être appliquée avant la condamnation ou dans le cadre de la peine à purger.

De plus, un juge aux affaires familiales peut délivrer une ordonnance de protection dans le but de mettre à l’abri une femme victime de violence conjugale, indépendamment de toutes procédures criminelles.

Malgré tout, certaines victimes estiment que le port du bracelet se révèle insuffisant dans la mesure où il n’est pas automatiquement ordonné par les juges.

Il faut également souligner qu’un autre dispositif, appelé « Téléphone grave danger », qui est aussi recommandé pour le Québec, a été mis en place en France en 2014, soit cinq ans avant le bracelet antirapprochement. Il s’agit d’un téléphone portable avec une touche spécifique permettant à la victime d’alerter rapidement le service de téléassistance, lequel est non seulement informé de l’appel, mais aussi de sa géolocalisation au moment précis. Ce service dépêche alors les forces de l’ordre qui sont reliées au service par des lignes spécialisées, soit avec la police locale ou avec la gendarmerie nationale.

Selon le ministère français de la Justice, 3 512 de ces téléphones ont été déployés sur le territoire français au 1er mars 2022, dont 2 566 ont été attribués. Il en reste encore 1 000 qui pourraient être utilisés.

Cependant, en 2021, certaines associations critiquaient le fait que les Téléphones grave danger étaient encore distribués au compte-gouttes.

Le bracelet antirapprochement est un outil qui comporte plus d’options que les fonctionnalités offertes par le Téléphone grave danger, selon le site du ministère français de la Justice.

Par ailleurs, il semblerait qu’il existe une grande différence entre l’expérience espagnole et l’expérience française, qui découle des moyens budgétaires qui ont été attribués pour mettre en œuvre les autres mesures nécessaires pour permettre aux femmes de s’éloigner de leur conjoint violent. Par exemple, l’Espagne s’est dotée de 8 600 places d’hébergement spécialisées, contre 5 000 en France, qui a pourtant une population 30 % plus importante.

En conclusion, je veux remercier la marraine du projet de loi C-233, la députée Anju Dhillon, ainsi que tous les députés de la Chambre des communes, qui ont adopté à l’unanimité le projet de loi C-233. Il compte deux mesures intéressantes qui pourraient contribuer à empêcher que des gestes de violence familiale et de violence entre partenaires intimes soient commis. C’est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture le plus rapidement possible afin de le renvoyer au comité pour qu’il l’étudie.

Cependant, il faut garder en tête que, même si les mesures progressives prévues dans le projet de loi C-233 sont utiles, elles ne parviendront pas à mettre fin à la violence entre partenaires intimes et à la violence familiale. Une stratégie complète doit être élaborée. Elle devra comprendre de l’aide pour les agresseurs, en particulier les hommes, l’accès aux ressources pour les victimes, dont les refuges, de la sensibilisation et de la formation pour tous ceux qui sont appelés à intervenir, comme les policiers, les travailleurs sociaux et les juges.

Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

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